Comment est né ce désir d’écrire ?
Sumaya Al-Attia : J’ai commencé très jeune, en Jordanie, principalement en anglais. J’écrivais des poèmes, puis des textes qui prenaient des formes scéniques. Puis le théâtre, du moins l’écriture pour la scène, s’est imposé naturellement à moi. L’un de mes premiers textes, Sirène(s), n’a jamais vu le jour, mais Médusa, une adaptation du mythe de la Méduse, a été jouée en Suisse dans le cadre du Midi Théâtre en 2022. Cette formule propose aux spectateurs de voir un spectacle pendant le déjeuner dans les foyers des théâtres. Par ailleurs, l’écriture a toujours été un moyen pour moi d’explorer le monde, de donner voix à des histoires qui me traversent et de construire des ponts entre mes différentes identités culturelles.
En tant que comédienne, votre expérience du jeu influe-t-elle sur votre écriture ?
Sumaya Al-Attia : Sans doute. J’ai un rapport à la musicalité du texte et à sa mise en bouche. J’essaie de garder une langue qui pourrait être dite, sans tomber dans un réalisme trop quotidien. Cela m’aide à structurer la manière dont les personnages parlent et interagissent. Parfois, je me rends compte que je teste inconsciemment les dialogues à voix haute pour m’assurer qu’ils sonnent justes. Je pense aussi que mon expérience scénique me permet d’anticiper les enjeux dramaturgiques : les silences, les respirations, les ruptures.
REKORD بيبي est né au moment où La Russie a déclaré la guerre à L’Ukraine. Quel a été le déclic ?
Sumaya Al-Attia : Cela a déclenché en moi des questionnements profonds et a réveillé de vieux souvenirs. J’ai quitté le Moyen-Orient à 17 ans, et la guerre m’a toujours paru lointaine de l’Europe. En 2022, face à cette guerre, je me suis demandé : « Et si je devais quitter la France, où irais-je ? » La Jordanie est apparue comme une évidence. Cela m’a fait repenser à l’histoire de ma grand-mère qui, en 1967, a quitté la France pour l’Irak avec mon père, alors âgé de huit ans. J’ai voulu en savoir plus. J’ai enregistré des entretiens avec lui et cela a donné naissance à la pièce.
Ce qui m’a aussi frappée, c’est la manière dont la mémoire se reconstruit avec le temps. Mon père avait des souvenirs parfois flous, parfois mêlés à des éléments imaginaires. Cela m’a fascinée. Comment retranscrire une histoire personnelle tout en lui donnant une portée universelle ?
L’écriture d’une histoire aussi intime a-t-elle été difficile ?
Sumaya Al-Attia : Au départ, c’était une nécessité. Mais en faisant lire le texte à mon père et à ma famille, j’ai pris conscience du poids de cette histoire. Cela traite de l’héritage laissé par une décision migratoire. Ça laisse des traces profondes. Ce n’est pas toujours évident d’écrire sur sa famille, surtout quand d’autres événements viennent s’entrelacer, comme la maladie. Mais je le fais par nécessité, pas comme une thérapie.
L’écriture permet aussi d’interroger ce que l’on croit savoir. Parfois, nous avons des images très arrêtées sur notre propre histoire familiale, mais en plongeant dans les récits de nos aînés, on découvre des nuances, des zones d’ombre, des contradictions. Cela pousse à une remise en question permanente.
Vous mettez en scène votre pièce, mais vous ne jouez pas dedans. Pourquoi ce choix ?
Sumaya Al-Attia : J’ai souhaité garder une distance. Ce sont deux comédiens, Lou Valentini et Duraid Abbas Ghaieb qui incarnent tous les personnages. Voir des acteurs s’approprier mon texte est à la fois émouvant et libérateur, car le texte reste une fiction. Il s’inspire du réel, mais j’ai volontairement pris des libertés pour me permettre de rêver.
J’ai également ressenti le besoin de voir mon texte porté par d’autres voix. En tant qu’autrice et metteuse en scène, je peux guider, ajuster, affiner le propos, tout en laissant aux interprètes une marge d’appropriation.
Comment vivez-vous le passage du texte à la scène ?
Sumaya Al-Attia : C’est un processus fascinant. La lecture publique au Zébrures de Printemps va me permettre d’affiner le texte et de voir comment il est reçu par le public. Depuis que nous sommes en répétitions, je ne cesse de retravailler le texte pour qu’il soit plus net, plus précis. La mise en scène finale, prévue pour l’automne, sera une nouvelle étape dans cette construction.
La lecture est une étape cruciale dans ce processus ?
Sumaya Al-Attia : Cela oblige à se concentrer sur l’essentiel : le texte et les voix. J’ai collaboré avec INVIVO et Julien Dubuc, qui travaillent beaucoup sur la voix. Sans mise en espace, puisque c’est la demande du Festival, la lecture impose une précision absolue. Cela me permet de voir ce qui fonctionne et ce qui doit être réajusté.
La contrainte de la lecture au pupitre est aussi un formidable exercice : cela oblige à travailler l’imaginaire, à créer des images mentales fortes à travers la parole seule. C’est une expérience enrichissante pour moi en tant qu’autrice, mais aussi pour les interprètes, qui doivent tout transmettre par leur voix. C’est une sacrée expérience, que j’ai hâte de faire !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Zébrures de Printemps
Les Francophonies des écritures à la scène
du 17 au 29 mars 2025
CCM Jean Gagnant
7 Av. Jean Gagnant
87000 Limoges
REKORD بيبي
lecture le 23 mars à 14h
Texte et direction de lecture Sumaya Al-Attia (Jordanie / Irak / France)
Avec Duraid Abbas Ghaieb, Lou Valentini
Lecture en arabe et français surtitrés