Comment se passe votre nouvelle direction à La Comédie de Genève ?
Séverine Chavrier : Lorsque l’on arrive à la tête d’un lieu, il faut d’abord comprendre l’espace, son rôle dans la ville et comment s’insérer dans l’écosystème culturel existant. La Comédie de Genève est un grand théâtre de ville, un espace unique, un lieu de création qui peut accueillir de grandes formes internationales de théâtre et de danse tout en dialoguant avec la scène locale. J’ai voulu structurer la saison autour d’un projet pluridisciplinaire et d’une programmation qui attire un large public. Nous avons déjà pu observer un engouement certain avec des salles pleines tout au long de la saison.
Un des axes de votre projet est d’ouvrir plus largement le lieu au public. Comment cela se traduit-il concrètement ?

Séverine Chavrier : Ma principale préoccupation est que la Comédie soit un lieu vivant, ouvert et accessible à tous. Nous avons travaillé sur une politique tarifaire avantageuse, notamment pour les jeunes, avec un tarif à 5 francs suisses. Les étudiants des hautes écoles artistiques profitent, eux, de la gratuité. Nous avons également continué, après mes prédécesseurs, à développer des actions événementielles pour faire de ce théâtre un lieu de vie à part entière, qui peut être traversé par différents publics sans qu’ils se sentent intimidés : soirées électro, Nuits blanches, nuits thématiques ou encore un marché bio hebdomadaire dans la coursive du théâtre.
Nous avons aussi mis en place tout un cycle de rencontres avec des écrivains et des chercheurs genevois autour de certains axes dramaturgiques de la saison pour créer un dialogue plus large et plus riche entre artistes et spectateurs.
Vous avez aussi une attention particulière pour la création et la production. Quels sont vos objectifs en la matière ?
Séverine Chavrier : L’un des axes majeurs de mon projet est de renforcer la Comédie en tant que maison de production. C’est un enjeu majeur pour le spectacle vivant aujourd’hui, qu’il existe encore des maisons de création en Europe capables de prendre des risques auprès des artistes. Il est essentiel que les plateaux soient en permanence occupés par des artistes en répétition, en recherche et en création.
Nous avons déjà porté des projets marquants, comme Absalon, Absalon !, présenté à Avignon avant d’être repris à Genève en janvier dernier et en mars à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, ou la recréation de Coup Fatal d’Alain Platel, prochainement en tournée en Île-de-France.

En juin, la création de Némo Flouret sera présentée en avant-première au public genevois avant de partir dans les festivals d’été, ainsi que celle, tant attendue, de Vimala Pons avant sa création à la Comédie à l’automne prochain. J’attache une grande importance à la durée de travail des artistes, pour leur permettre de développer leur langage avec du temps et des moyens adaptés à leur méthode de travail. Cela favorise aussi un véritable ancrage des artistes dans la ville, qui travaillent souvent en lien avec d’autres institutions genevoises. Nous restons aussi attentifs à renforcer les coproductions internationales afin de garantir la viabilité des projets et leur diffusion à plus grande échelle.
Vous parlez aussi de défrichage et de soutien à la scène locale. Comment cela se concrétise-t-il ?
Séverine Chavrier : La scène locale est particulièrement dense et passionnante. C’est un écosystème riche. J’ai la chance d’avoir des collègues formidables, précieux et très attentifs. Ensemble, nous essayons de nous répartir la tâche et d’aider au mieux les artistes à différents moments de leur parcours, à travers des créations ou des reprises, en privilégiant la visibilité des projets et leur viabilité.
J’ai l’impression que la Comédie a une carte à jouer en tant que maison ressource : en plus des apprentis techniciens que nous accueillons chaque saison en formation continue, nous avons initié un projet pilote pour accompagner de jeunes artistes sortis de la Manufacture, en leur offrant un compagnonnage de trois ans à la Comédie. Deux jeunes femmes ont ainsi rejoint l’équipe pour une présence artistique qui peut aller du stage technique à l’assistanat, en passant par la création et la curation d’événements, par exemple. C’est un dispositif extrêmement libre, qui s’invente chemin faisant, sans autre contrainte que la pertinence des propositions d’accompagnement. Et à l’échelle d’une maison, il y a beaucoup de possibles.

D’autre part, sur chaque coproduction engagée avec des artistes internationaux, nous sollicitons des auditions avec la scène locale. Nous avons aussi mis en place tout un programme de workshops donnés par les artistes invités des saisons à destination des acteur·rices du Grand Genève, pour initier des rencontres et, pourquoi pas, des projets. J’aimerais enfin que cette institution puisse aussi aider certains artistes à passer le cap de l’international, avec la force de ses réseaux et de productions construites avec qualité et écoute.
Bref, il y a un travail en profondeur avec les institutions locales et la scène suisse, notamment romande, avec des liens à renforcer avec la Suisse alémanique et italienne.
Votre programmation semble s’ouvrir à de nombreuses formes artistiques. Est-ce important ?
Séverine Chavrier : La Comédie doit être un lieu où les arts se croisent. Une de nos volontés est aussi d’ouvrir le plateau à des formes hybrides et de croiser les esthétiques pour réinventer les langages scéniques.
Étant musicienne, la musique occupe une place essentielle dans mes projets. Nous avons également une attention particulière pour les grandes performances contemporaines, en accueillant par exemple Romeo Castellucci, Anne Teresa de Keersmaeker, La Comédie-Française… et nous continuons à construire une programmation audacieuse, qui mêle théâtre, danse, musique et autres formes d’expression artistique.

La saison prochaine, nous prévoyons d’accentuer les dialogues entre artistes de différents horizons, avec des mises en résonance entre la performance et l’image, le texte et le corps. Nous voulons par ailleurs continuer à investir l’espace urbain en proposant des spectacles hors les murs, dans des lieux insolites de la ville, afin de décloisonner encore plus le rapport au public.
Nous avons évidemment pérennisé les collaborations historiques avec les festivals genevois comme La Bâtie, Antigel ou, plus récemment, Out of the Box, mais nous développons d’autres partenariats encore, avec le Théâtre de Carouge par exemple, l’Abri ou le Musée d’Art et d’Histoire.
Et pour la suite, quels sont vos grands chantiers ?
Séverine Chavrier : Je souhaite encore renforcer la cohérence entre notre programmation, nos actions culturelles et notre ouverture à la ville, et offrir encore plus de chaleur et de convivialité dans notre accueil.
L’un des enjeux est d’élargir encore l’accès au théâtre, d’encourager le dialogue entre artistes et publics et de poursuivre notre travail de production sur le long terme. Nous travaillons aussi à faciliter la diffusion en Europe de nos productions.
Par ailleurs, nous continuerons à développer des initiatives en faveur de l’écologie dans le spectacle vivant, pour réduire notre empreinte environnementale tout en conservant une exigence artistique forte.
Enfin, nous cherchons aussi à renforcer le programme d’éducation artistique et culturelle en collaborant étroitement avec les établissements scolaires pour offrir aux jeunes un accès privilégié à la création contemporaine.
Un mot pour les Genevois…
Séverine Chavrier : Je suis très heureuse de cette aventure à la Comédie. Genève est une ville d’une grande richesse culturelle et a un public formidable, que je découvre véritablement cette saison. Je le remercie de son enthousiasme et de sa curiosité. J’espère que nous continuerons à faire de la Comédie un lieu de rencontre, d’échange et de découverte artistique.
Propos par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Comédie de Genève
Esplanade Alice-Bailly 1
1207 Geneva, Suisse
Absalon, Absalon ! de Séverine Chavrier d’après William Faulkner
spectacle présenté en juin 2024 au Festival d’Avignon
Durée 5h
Tournée
Du 25 mars au 11 avril Théâtre National de l’Odéon, Paris
Les 23 et 24 avril Centre Dramatique National d’Orléans
Dates passées
Du 14 au 25 janvier Comédie de Genève
Les 5 et 6 février Théâtres de la ville de Luxembourg
Les 13 et 14 février Théâtre National de Liège
Les 20 et 21 février Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy
Adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier
Avec Pierre Artières-Glissant, Daphné Biiga Nwanak, Jérôme de Falloise, Alban Guyon, Adèle Joulin, Jimy Lapert, Armel Malonga, Annie Mercier, Hendrickx Ntela, Laurent Papot, Kevin Bah « Ordinateur »
Avec la participation de Maric Barbereau, Remo Longo (en alternance)
Traduction et relecture – François Pitavy, René-Noël Raimbault
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène – Marie Fortuit, Marion Platevoet, Baudouin Woehl
Scénographie, accessoires et régie plateau – Louise Sari
Lumière de Germain Fourvel
Musique d’Armel Malonga
Son de Simon d’Anselme de Puisaye, Séverine Chavrier
Vidéo de Quentin Vigier
Cadre vidéo – Claire Willemann
Costumes de Clément Vachelard