En quelques mots, pouvez-vous nous dire ce que représente la Biennale ?
Sandra Neuveut : C’est une grande dame, presque cinquantenaire ! Elle a vu le jour en 1979 sous l’impulsion de Michel Caserta. D’abord présente à Vitry-sur-Seine, elle s’est ensuite déployée sur tout le territoire départemental. Ce visionnaire souhaitait structurer la diffusion et la formation de la danse contemporaine en France. Cette dynamique a progressivement conduit à la création en 2013 de La Briqueterie, aujourd’hui Centre de Développement Chorégraphique National (CDCN).

En prenant la direction du lieu en 2021, j’ai eu à cœur de préserver l’esprit collectif de cet événement tout en lui apportant ma sensibilité. Plutôt que de thématiser la Biennale, j’ai choisi de lui donner des couleurs, et cette année, c’est celle de la nuit, un thème à la fois évocateur et poétique qui ouvre des perspectives infinies d’interprétation et de création.
Pourquoi avoir choisi cette ambiance nocturne comme fil conducteur de cette 23e édition ?
Sandra Neuveut : Thématiser enferme parfois les œuvres dans un cadre trop rigide. En revanche, une couleur permet d’orienter sans contraindre. La nuit est un territoire riche d’expériences : c’est un espace d’apprentissage, de transformation et de rêverie. C’est aussi le moment où tout devient possible, où les corps et les esprits s’émancipent des contraintes du jour. J’ai ainsi structuré la programmation autour de trois axes : « Éclairer la nuit », « Goûter la nuit » et « Transfigurer la nuit », des parcours sensoriels qui permettent aux spectateurs d’aborder la danse sous différents prismes.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de spectacles illustrant ces trois axes ?
Sandra Neuveut : « Éclairer la nuit » met en lumière des figures puissantes comme Aina Alegre dans Fugaces qui s’inspire de Carmen Amaya, une icône du flamenco, qui a eu ses heures de gloire à Hollywood dans les années 1940, mais aussi Tatiana Julien, qui avec En Fanfaaare ! revisite la figure de la Reine de la Nuit de Mozart dans une approche contemporaine et engagée.

Dans « Goûter la nuit », nous avons des expériences immersives qui jouent avec nos perceptions. Par exemple, Dalila Belaza propose, avec Orage, une œuvre sensorielle qui nous plonge dans un état de demi-conscience tandis que Massimo Fusco et ses Corps sonores nous invitent à une parenthèse apaisante, accessible aussi bien aux écoles qu’aux maisons de retraite. Ce sont des œuvres qui incitent à une écoute plus intime du mouvement et de la musique.
Enfin, « Transfigurer la nuit » met en avant des récits où la nuit devient le lieu du changement et de la métamorphose. Soa Ratsifandrihana revisite des récits oubliés de son enfance dans Fampitaha, fampita, fampitàna et Gaëlle Bourges s’empare du conte de La Petite Soldate pour en proposer une nouvelle lecture, interrogeant les rapports entre mémoire, histoire et imaginaire collectif.
La Biennale repose aussi sur un important réseau de partenaires. Comment se construit cette programmation avec les 28 théâtres et villes impliqués ?
Sandra Neuveut : C’est un véritable exercice de dialogue et de concertation. Certains partenaires choisissent de prendre des risques en programmant des artistes émergents, tandis que d’autres optent pour des valeurs sûres comme Alain Platel, François Chaignaud ou Israël Galvan. Mon rôle est de favoriser ces rencontres entre les lieux, les artistes et les publics, en respectant les spécificités de chacun. Nous voulons créer une dynamique où les spectateurs peuvent à la fois retrouver des noms connus et s’ouvrir à des découvertes surprenantes.
En dehors de la Biennale, La Briqueterie a une activité à l’année…

Sandra Neuveut : Nous accompagnons une soixantaine de compagnies chaque année en résidence et en coproduction. Nous sommes également engagés dans des réseaux européens comme Aerowaves, qui nous permet de découvrir de nouvelles propositions chorégraphiques. En dehors de la Biennale, nous avons d’autres temps forts comme « Excentriques », qui met en avant des formats atypiques et des écritures chorégraphiques audacieuses, et « 6h du soir en été », un événement festif et gratuit ouvert aux familles, où il est possible de voir de la danse en dehors des salles.
L’accessibilité et le lien avec les publics sont au cœur de vos préoccupations. Comment travaillez-vous cet ancrage territorial ?
Sandra Neuveut : Nous avons un engagement fort envers l’éducation artistique et culturelle. Des spectacles comme Corps sonores de Massimo Fusco permettent d’aller au contact des publics dans des lieux variés, des écoles aux maisons de retraite. Nos événements gratuits, comme « 6h du soir en été », sont essentiels pour toucher des spectateurs qui ne viendraient pas forcément au théâtre. Nous proposons également des ateliers et des rencontres avec les artistes pour sensibiliser les publics à la danse contemporaine. Malheureusement, les réductions de subventions menacent ces initiatives, et nous devons redoubler d’efforts pour maintenir ces actions essentielles.
La Biennale fait partie de ce processus…
Sandra Neuveut : La danse est un art vivant, en perpétuelle évolution. Cette Biennale est une invitation à l’expérience, à la découverte et au partage. J’espère que les spectateurs seront au rendez-vous et qu’ils viendront nombreux pour goûter, éclairer et transfigurer la nuit avec nous ! Le geste comme le mouvement sont des langages universels, et nous espérons qu’à travers cet événement, nous pourrons toucher un public toujours plus large et diversifié.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Biennale de la danse du Val-de-Marne
du 12 mars au 11 avril 2025
La Briqueterie – CDCN
17 rue Robert Degert
94400 Vitry-sur-Seine