À en juger par le matériel médical disposé tout autour du plateau, l’expérience à laquelle nous convie Vanessa Amaral n’a pas pour but d’être particulièrement agréable. D’ailleurs, l’examen gynécologique qu’elle fait subir à sa protagoniste en guise de première image donne rapidement le ton. D’emblée, Pratique de la ceinture, Ô ventre puise dans la quotidienneté des mots et des gestes. À partir de cette matière brute exempte de poésie, l’autrice développe une vaste réflexion autour de la question du ventre, qu’elle voit comme l’épicentre des injonctions, des contraintes et des libertés.
Dans son ventre

Dès le diagnostic de son fibrome utérin – tout bénin soit-il –, le personnage central d’Amina se fait l’interprète des multiples hypothèses soulevées par la pièce. Violences intrafamiliales dissimulées derrière l’omerta, pression sociale liée à la grossesse et à la vie de famille, rapport au corps et à la sexualité… Pratique de la ceinture, Ô ventre ne manque pas de pistes à arpenter, au service d’une thématique plus large encore. Car s’il paraît évident que l’intimité est inséparable de son sujet, Vanessa Amaral la met également en miroir d’une tout autre notion : celle d’un secteur professionnel en perte de sens.
Et pour cause, avant d’être déclarée malade et considérée comme telle, Amina travaille en tant que soignante dans le service public. Pénurie de moyens, obligation de résultats et déshumanisation du métier font partie de son quotidien ; une réalité parfois inconsciente qui ressort soudain crûment, à la faveur de l’inversion des rôles dans laquelle elle se retrouve projetée. En écho à cette dualité, la metteuse en scène conçoit alors une double dramaturgie, tant dans son écriture que dans son approche du plateau.
Briser le silence

Pratique de la ceinture, Ô ventre se situe en permanence à la jonction entre deux registres. L’humour y rencontre la sensibilité, le tangible se confronte à la métaphore et le jargon médical se mêle à la poétique théâtrale, un dispositif dans lequel les interprètes jouent, eux aussi, une double partition. En procédant de cette manière, Vanessa Amaral propose une création qui trouve un certain équilibre entre un regard quasi documentaire et une démarche plus viscérale qui lui répond. Ces deux visages s’entrelacent sur un même plateau, au sein d’une scénographie judicieuse qui marque précisément la distinction – puis l’union – des deux lignes narratives.
D’images aseptisées de couloirs hospitaliers en esthétiques abstraites et organiques, Pratique de la ceinture, Ô ventre fait le constat d’un système fondamentalement malade. Les causes en sont nombreuses, autant que les symptômes qui, selon Vanessa Amaral, se concentrent avant tout dans le ventre. Par là passent les douleurs et les soulagements, les angoisses et les espoirs, en somme la santé et la souffrance. Ainsi, le diagnostic initial tient davantage le rôle d’élément déclencheur du questionnement multiple et complexe sur lequel il ouvre. De cette pluralité parfois imprécise émerge en définitive une volonté affirmée de tout dire pour ne plus rien devoir taire.
Peter Avondo – Envoyé spécial à Villeurbanne
Pratique de la ceinture, Ô ventre de Vanessa Amaral
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne cedex
Durée 1h45 environ
Du 12 au 21 mars 2025
Tournée
Le 29 avril 2025 à L’Azimut, Châtenay-Malabry
Du 12 au 16 mai 2025 au Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis
Du 23 au 25 mai 2025 dans le cadre de Théâtre en Mai au Théâtre Dijon Bourgogne
Mise en scène de Vanessa Amaral assistée d’Azani Ebengou en alternance avec Leïla Brahimi
Avec Vanessa Amaral, Sachernka Anacassis, Samuel Roussel-Hayatou, David Seigneur, Lisa Torres
Dramaturgie d’Aurore Jacob
Collaboration artistique – Dominique Elenga
Scénographie et régie générale – Inês Mota
Lumière de Myriam Adjallé
Son de Tom Beauseigneur
Vidéo d’Ana Mathyas
Costumes de Suzanne Devaux