© Samuel Kirszenbaum

Port-au-Prince et sa douce nuit, la portée poétique de Gaëlle Bien-Aimé

Au Théâtre 14, Lucie Berelowitsch ménage un espace dépouillé où la musique fait office d’architecture pour que la poésie du texte de Gaëlle Bien-Aimé résonne. Œuvre crépusculaire qui présente en miroir une relation amoureuse et l’histoire haïtienne.

Depuis la capitale haïtienne et ses espoirs malmenés, un couple tente de se réinventer comme si une nuit pouvait tout changer. Gaëlle Bien-Aimé imagine une séquence fiévreuse comme le fragment de vie de ce couple en proie à des questionnements existentiels.

© Alban Van Wassenhove

Les amants s’aiment et se déchirent, tournent le dos à cette ville infernale avant d’être rappelés aux souvenirs, aux soirées enivrées d’antan, à ce temps où tout semblait faisable. Deux êtres dont l’amour se présente comme un miroir à la capitale qui l’a vu naître. Impossible de ne pas remarquer qu’à travers ce couple, qui incarne tout et son contraire, c’est en fait l’histoire de l’île qui se joue. 

Premier pays né d’une révolte d’esclaves, territoire longtemps sous le joug français puis sous occupation américaine, Haïti a été entravée dans son développement par une dette considérable requise par ses anciens colons, estimée à 525 millions d’euros par le NY Times. Malgré ses soulèvements successifs contre ses tyrans et ce contre-coup économique et matériel impossible à porter, les espoirs de la population se sont trop souvent vus étouffés.

Une chambre dépouillée, fenêtre ouverte sur une ville qui ne dort pas. Au loin, les quartiers riches perchés sur les hauteurs. Tout près, un voisin écoute du compas, bientôt la rumeur se précise et la danse s’invite dans la pièce.

Consciente de la densité du texte qui lui a été donné d’adapter, Lucie Berelowitsch imagine une partition rondement menée. Le bruitage y est perpétuel, les thèmes musicaux se devinent avant de parvenir aux personnages. La metteuse en scène inscrit la musicalité du texte dans un grand tout cohérent, dans lequel on peut se laisser porter les yeux fermés. Derrière le lit, deux photos de la capitale se répondent. La ville est partout.

© Alban Van Wassenhove

Port-au-Prince et sa douce nuit offre un moment doux et amer dans lequel la poésie file sans entrave. L’autrice capture l’interstice de deux existences, après l’âge d’or de la relation et avant la promesse d’un bouleversement. Plus qu’un dialogue, ce sont deux monologues qui se répondent et se complètent, comme si chacun cherchait dans les mots de l’autre l’élan de sa prochaine réplique. Lui tente de masquer sa peine, taire le mal qui le ronge. Elle, plus lyrique encore, trahit ses doutes, ses névroses, ses aspirations. 

Lawrence Davis et Sonia Bonny incarnent ce désir brûlant, ménageant à chaque instant pour leur personnage une très belle intériorité. Le jeu s’avère parfois un peu déclamatoire mais sa mélodie emporte. Rappelé sans cesse au texte par ses envolées lyriques, le public peut prendre la pièce pour ce qu’elle est : une lutte pour trouver le mot juste dans le chaos émotionnel et distinguer dans la nuit la promesse d’un jour nouveau. 


Port-au-Prince et sa douce nuit de Gaëlle Bien-Aimé
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Du 6 au 22 mars 2025
Durée 1h

Tournée
Les 15 et 16 avril 2025 à la Scène nationale du Sud-Aquitain
Les 24 et 25 avril 2025 au Préau de Vire

Texte : Gaëlle Bien-Aimé (Prix RFI Théâtre 2022)
Mise en scène : Lucie Berelowitsch
Avec Sonia Bonny et Lawrence Davis
Lumières : François Fauvel
Musique : Guillaume Bachelé
Scénographie : Ateliers du Préau sur les conseils d’Hélène Jourdan

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