Il aura fallu attendre la fin des années 1970 pour que des metteurs en scène français comme Patrice Chéreau (dans la version de 7h), puis pour ne citer que les derniers, David Bobée, Anne-Laure Liégeois, se lancent dans cette grande aventure scénique. Depuis des années, Olivier Py rêvait de monter la pièce dans sa forme originelle avec la partition musicale de Grieg, qui est composée de grandes « tubes » (Le matin, La danse d’Anitra, Dans l’antre du roi de la montagne et La chanson de Solveig)*.
Le théâtre musical est à la fête

Lorsque Henrik Ibsen écrit Peer Gynt en 1866, c’est d’abord un lesedrama, une pièce pour être lue. Son étendue dans le temps, ses nombreux personnages et paysages, ce va-et-vient entre le réel et le fantastique débordent des codes dramatiques de l’époque. Lorsque l’auteur, dont la reconnaissance peine à se faire, décide de faire jouer sa pièce, il demande à Edvard Grieg d’en composer la musique. Le succès est au rendez-vous. Curieusement, il est très rare que la version théâtrale soit accompagnée de la version musicale. Une histoire de coût et de longueur. Dans une version de 3h25, avec orchestre sur scène, scénographie impressionnante et une troupe de choix, Olivier Py rapproche enfin ces deux chefs-d’œuvre.
La confirmation d’un grand comédien
Menteur, ivrogne, mais poète avant tout, le personnage de Peer Gynt est l’un des plus beaux rôles du répertoire. Comme Cyrano, il vieillit au fil de la pièce sans jamais perdre de sa faconde. Ce fanfaron, bon à rien, se met tout le village ainsi que les Trolls à dos, fait mourir sa mère de chagrin (la scène est bouleversante), laisse au pays l’amour de sa vie pour conquérir le monde. Après un passage à l’asile, il rentre finalement chez lui. Face à la mort, Peer, qui a toujours vécu égoïstement avec comme devise « suffis toi à toi-même », se demande ce qu’est « être soi-même » ? Acteur « éperdument démesuré» Bertrand de Roffignac, révélé par Ma jeunesse exaltée de Py, est impressionnant. Quel talent ! Virevoltant, vibrant, fougueux, il passe de la comédie au drame, du jeu au chant, avec un appétit de jeu intense.
Une troupe au diapason

Sur le plateau, ils sont treize, chantant, dansant pour donner corps et âme aux divers personnages, singes compris. L’ensemble est d’une grande tenue. Certains incarnent des rôles clefs, comme celui de la mère (épatante Céline Chéenne, Les Parisiens et Ma jeunesse exaltée), du roi des Trolls (formidable Damien Bigourdan, La petite boutique des horreurs), le porteur de cuillère (Émilien Diard-Detœuf, Le ciel, la nuit et la fête, Notre comédie humaine), Solveig (éblouissante Raquel Camarinha). Nous citerons également, parce qu’ils le méritent tous, Clémentine Bourgoin (voix et minois exquis), Pierre-Antoine Brunet, Marc Labonnette, Justine Lebas, Pierre Lebon, Lucie Peyramaure, Sevag Tachdjian, Hugo Thery et aussi Olivier Py.
Un feu d’artifice(s)
Comme toujours chez Olivier Py la folie, acoquinée à la poésie et l’irrévérence, règne en maître. Son adaptation et sa mise en scène sont remarquables. Même s’il n’oublie jamais la part sombre du texte, son travail est joyeux. Il utilise toute la machinerie du Châtelet pour faire défiler les tableaux dans la pure tradition des grands musicaux. Dirigé de main de maître par Anu Tali, l’excellent Orchestre de Chambre de Paris n’est pas dans la fosse, mais en fond de scène. Ils sont derrière un tulle qui se transforme en écran où des ombres chinoises sont projetées. Ce Peer Gynt, œuvre intemporelle par ce qu’elle raconte du monde, est une belle réussite. Bravo.
Marie-Céline Nivière
Peer Gynt, de Henrik Ibsen, musique d’Edvard Grieg
Théâtre du Châtelet
1 place du Châtelet
75001 Paris.
Du 7 au 16 mars 2025
durée 3h50 avec entracte.
Adaptation, mise en scène d’Olivier Py
Direction musicale Anu Tali
Avec Damien Bigourdan, Clémentine Bourgoin, Pierre-Antoine Brunet, Raquel Camarinha, Céline Chéenne, Émilien Diard-Detœuf, Marc Labonnette, Justine Lebas, Pierre Lebon, Lucie Peyramaure, Olivier Py, Bertrand de Roffignac, Sevag Tachdjian, Hugo Thery, l’Orchestre de Chambre de Paris.
Décors et costumes de Pierre-André Weitz
Lumières de Bertrand Killy
Création sonore de Stéphane Oskeritzian
Chorégraphe et assistant à la mise en scène Ivo Bauchiero
Assistant à la direction musicale Quentin Hindley, aux décors Clément Debras, aux costumes Mathieu Crescence
Stagiaire à la mise en scène Hugo Thery
Pianistes répétiteurs et chefs de chant Vincent Leterme, Benjamin Laurent.
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