© Miguel Bueno

Olivia Csiky Trnka : « Le théâtre est un outil pour penser le monde »

Dans le cadre des Zébrures de printemps, la metteuse en scène et performeuse suisso-slovaque présente une lecture de sa pièce, Vénus de 5743 ans, une évocation de la vie et de la mort, une histoire de femme qui se confronte au monde.

Olivia Csiky Trnka : Je suis plutôt rentrée dans l’art. J’ai grandi dans un milieu émigré de l’Est où l’art tenait une place conséquente. L’art représentait la contre-culture, puisqu’il est à la fois immatériel, incontrôlable et transmissible. Mon entourage avait une puissante curiosité pour explorer cet Ouest nouveau. Aller au théâtre était donc tout naturel. Enfant, je me souviens d’aller voir les marionnettes le samedi matin, toute seule. C’était l’indépendance ! Sans doute était-ce aussi une solution pratique pour mes parents, qui pouvaient ainsi me faire garder à peu de frais, mais pour moi, le théâtre a toujours incarné un parfum de liberté…

© Olivia Csiky Trnka

Olivia Csiky Trnka : Changer de territoire est une habitude. Je suis née à Bratislava, mais j’ai grandi en Suisse et au Canada. J’ai suivi des études de petite fille sage et solitaire : latin-grec, danse classique, master en histoire de l’art, manifestations universitaires… Le sublime comme expérience-limite est un concept que je poursuis depuis mes études. La possibilité de la métamorphose me semble être un espoir pour l’humain. Non ? Puis, je suis revenue à la création. J’ai intégré La Manufacture, le conservatoire francophone suisse, avant de travailler comme comédienne et performeuse. J’aime le lâcher-prise que nécessite le cinéma, la virtuosité qu’exige la scène.

De ces expériences, je retiens notamment la chorégraphe La Ribot pour sa richesse et son abstraction sensible. Comme j’aime la diversité des approches, je travaille aussi comme dramaturge. C’est passionnant d’accompagner d’autres créateurs et créatrices, cela déplace le regard.

Enfin, j’ai créé ma compagnie Full PETAL Machine, pour porter des problématiques contemporaines et explorer des formes. Faire les pièces que j’avais envie de voir. Protocole V.A.L.E.N.T.I.N.A est un solo sur la conquête spatiale et l’émigration ; Demolition Party traite de la transmission maternelle et de la vengeance de la nature avec la transe ; Zombie Zombie parodie la contagion de la sottise en utilisant la forme radiophonique ; Hyper Dream On est un oratorio sur les songes ; Promenade Élémentaire I, II et III sont des podcasts sur les éléments…

En ce moment, je termine la postproduction d’un long-métrage avec Jd Schneider, Demolition Party, une lointaine adaptation de la pièce. J’ai aussi écrit Photo de Vacance/s pour Les Intrépides en 2023 à Avignon…

Olivia Csiky Trnka : Dans ma famille, il était assez courant d’écrire de la poésie, de raconter ses rêves au petit-déjeuner, d’hybrider les langues. Certains mots sonnent plus justes en slovaque, en espagnol, en allemand… Bilingue, j’ai des tournures de phrases différentes selon les circonstances. La langue est devenue un jeu multidimensionnel.

Puis, je passe par le plateau pour dire, affiner le rythme du texte. Pour moi, le théâtre exige du physique : il doit y avoir de l’engagement, aussi bien de la part des mots que de celle de la personne qui va les porter.

La littérature est une nourriture nécessaire à l’âme, quoi qu’on mette dans ce terme. Elle nous permet de ne pas perdre de vue la diversité fertile et essentielle de notre humanité. Le consumérisme comme l’obéissance ne peuvent que nous restreindre. On a besoin de résistance aujourd’hui. Écrire, c’est ne pas avoir peur, ouvrir les imaginaires comme les horizons…

© Olivia Csiky Trnka

Olivia Csiky Trnka : Tout. Lire au soleil, voyager, écouter vraiment… J’aime voler des choses au réel et revendiquer l’incroyable, même si cela peut passer par de la violence, du minuscule, de l’ennui… Sur scène, tout doit être possible.

J’ai mes chouchous, bien sûr : la science-fiction, Ursula K. Le Guin, Alicia Galienne, Rumi, les mythologies, l’oralité de Despentes, le chapitre de Huysmans sur les fleurs naturelles qui imitent les fleurs artificielles, les visions de Darrieussecq, les essais sur la couleur, Bachelard, Sokourov… et aussi les gâteaux, la techno, la métaphysique, les mauvais romans, rater des trains, dormir, se politiser… Autant de luxes qui nourrissent.

Olivia Csiky Trnka : Cette pièce raconte l’histoire d’une femme âgée acculée. Solitaire, elle souffre dans une maison de retraite qui devient une prison malgré le personnel soignant. Elle perd sa tête comme sa dignité. Elle choisit alors de s’en aller.

L’euthanasie est une grande question qu’il faut porter en place publique pour pouvoir légiférer en toute conscience. Ni une religion ni une entreprise ne devraient avoir la mainmise sur ce sujet, qui touche toute la population. Je crois que nous devrions avoir le choix de nos destins.

Olivia Csiky Trnka : Le théâtre est un outil pour penser le monde. Ces dernières années, mes grands-parents sont morts dans des circonstances plus ou moins terrifiantes ; mes parents vieillissent et je ne sais que faire. Une forme de déni s’installe face au quatrième âge. Notre société ne sait pas comment s’occuper de ses vieilles personnes. Le jeunisme et la course aux profits ont relégué ce temps de la vie au rang de tabou. Or, s’il y a bien une certitude, c’est que nous allons tous mourir !

© Olivia Csiky Trnka

Olivia Csiky Trnka : Préciser mes intuitions, rencontrer d’autres auteurs et autrice… L’univers de l’écriture pure est encore frais pour moi, et c’est très excitant.

Plus secrètement, j’aimerais que le texte soit publié, que toutes les vieilles actrices et metteurs et metteuses en scène du monde s’en emparent et le montent sous toutes les formes possibles !

Olivia Csiky Trnka : J’espère monter la pièce et la tourner, avec Laurence Mayor, une comédienne sublime qui a pris ce texte à bras-le-corps. Sa délicatesse et sa puissance le font résonner encore plus fort. Je voudrais que cette fable secoue nos attentes comme nos désirs.

Olivia Csiky Trnka : Chez moi, on dit qu’il faut toujours laisser un vœu un peu ouvert, sinon il risque de nous asphyxier… Que la pièce soit jouée ? Que notre imaginaire soit saturé de vieilles dames en majesté ? L’égalité des droits dans le monde ? Le vertige du sublime ? Se perdre et se retrouver, ailleurs ?


Les Zébrures de Printemps
Les Francophonies des écritures à la scène
du 17 au 29 mars 2025
CCM Jean Gagnant
7 Av. Jean Gagnant
87000 Limoges

Une Vénus de 5743 ans
Lecture le 22 mars à 14h
Texte et direction de lecture Olivia Csiky Trnka (Slovaquie/Suisse)
Full PETAL Machine
Résidence Terminer un texte
Avec Laurence Mayor

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