L’Étrangère n’est pas une version féminine de Meursault. Ce n’est pas du tout le propos. Jean-Baptiste Barbuscia est malin : il se sert du chef-d’œuvre de Camus, roman marquant que l’on découvre souvent à l’adolescence, pour tenter de l’éclairer sous un autre point de vue contemporain. Pour cela, il met face à face un professeur englué dans la routine et une élève rebelle.
Une histoire dans l’histoire
Un professeur se prépare à donner son cours sur L’Étranger. Le nom est bien inscrit au tableau. S’il connaît parfaitement son sujet, on le sent quand même peu sûr de lui. Par des petits gestes, des hésitations de choix de cravates, de placements dans l’espace, on sent que cet homme n’est pas à son aise en société. Un peu comme le héros du roman, Meursault, celui qui n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère. Fabrice Lebert, qui travaille régulièrement avec Simon Delétang (Le misanthrope, Hamlet), est un comédien solide. Il apporte à ce « professeur Nimbus », aussi agaçant qu’attachant, de subtiles nuances.
Déboule Marie, son carton à dessin sous le bras. Bien qu’elle soit en retard, elle est la première à arriver. Les autres élèves ne viendront pas. Ils ont séché ce cours qu’ils trouvent barbant. Par provocation, elle va mettre un « E » au bout du titre sur le tableau. Elle reproche à Camus le manque de femmes dans ce roman. Le professeur s’insurge : « c’était ainsi à l’époque ». Le défiant, elle lui rétorque que le personnage de Marie Cardoni est en fait le cœur de l’œuvre, car elle permet de comprendre Meursault !
À partir de là, dans une explication de texte admirable, l’élève et le professeur vont mener une enquête dans le roman. Marion Bajot (Croizades) est remarquable. Son énergie, sa fougue, sa voix, ses intonations, qui rappellent Delphine Depardieu à ses débuts, donnent au personnage de Marie, une force de caractère impressionnante.
Un bel exercice de style
Dans cet affrontement, où les mots d’esprit et les confrontations d’opinion font rage, l’auteur souligne l’importance que peut avoir un enseignant dans votre vie. Certains ne font que passer et d’autres vous ouvrent des portes sur le monde. Il utilise alors la lettre de Camus à son instituteur après avoir appris qu’il allait recevoir le Prix Nobel de littérature : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé ». Il n’oublie pas non plus qu’un élève, par sa pertinence, peut donner au professeur le courage de sortir de sa zone de confort. Mais ne dévoilons pas la scène finale.
Nous avions découvert l’écriture singulière de Jean-Baptiste Barbuscia avec son étonnante pièce, Le fossé. Avec L’Étrangère, ce jeune auteur démontre qu’il faudra compter sur lui. Si pour la précédente, il n’avait osé aborder la mise en scène, la laissant aux mains de son expert de père (Serge), cette fois-ci, il se lance. Bon sang ne saurait mentir. Jean-Baptiste possède un univers visuel très imagé et un sens de l’occupation de l’espace très vivant. La relève est assurée au Théâtre du Balcon, scène permanente d’Avignon où le public pourra découvrir cet été ce beau spectacle.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon
L’étrangère, texte et mise en scène de Jean-Baptiste Barbuscia
Théâtre du Balcon
38, rue Guillaume Puy
83000 Avignon.
Du 29 mars au 6 avril 2025
durée 1h15.
Du 5 au 26 juillet 2025 à 13h30 (sf jeudi) au Festival Off d’Avignon
Adaptation librement inspirée de « L’Étranger » d’Albert Camus (Éditions Gallimard)
Avec : Marion Bajot et Fabrice Lebert
Créateur lumière et vidéo : Sébastien Lebert
Musiques : Benjamin Landrin.
