Elle était là, partout et nulle part à la fois. Discrète, en retrait, mais jamais loin. Dans un coin du cadre familial, dans un reflet, une silhouette, une main qui s’efface derrière un rideau ou dans l’ombre de la caméra. Bien après son départ, elle n’a jamais cessé d’exister dans les souvenirs de Dea Liane. Avec ce texte troublant et touchant, elle livre un roman de l’enfance aux accents d’aveu, d’amour et de lucidité. Car derrière l’histoire de cette nounou, une question lancinante surgit : qu’a-t-on vu d’elle ? Et surtout, qu’a-t-on choisi de ne pas voir ?
Dans une écriture tendue et ciselée comme une mise en scène, Dea Liane fait surgir Georgette dans toute son ambivalence. La femme au tablier de « fille », aux pantalons fuseaux, celle qui donnait les bains et préparait les repas, apparaît d’abord comme une figure familière et rassurante. Mais très vite, une autre posture se dessine : non plus celle des liens affectifs, mais celle de l’employée, de la place rémunérée au sein de la famille. Cette présence indéfectible, cette deuxième mère, qu’était-elle réellement ? Une employée ? Une ombre ? Une étrangère devenue essentielle, mais toujours en retrait ?
Chroniques familiales
Le récit oscille entre tendresse et confusion. L’enfant l’aimait d’un amour absolu, sans questions. L’adulte, elle, ne peut s’empêcher d’interroger cette relation, d’en déceler les fissures et les non-dits. Car Georgette, c’était aussi l’effacement, le dévouement total, le sacrifice silencieux. Dans les films amateurs tournés par la mère de l’autrice, elle est là, mais toujours en retrait, à l’orée des images. Toujours au service. Toujours ailleurs.
Comédienne au jeu magnétique, Dea Liane insuffle dans sa plume une puissance évocatrice rare. Son texte, d’une justesse retenue, capte autant les silences que les gestes. Sans jamais sombrer dans la facilité ni la mièvrerie sentimentale, elle restitue toute la complexité d’un lien d’amour et de dépendance, où l’intime se heurte au social, où l’affection ne peut masquer l’injustice d’une condition.
Georgette est un roman qui gronde sous la douceur des souvenirs, un hommage inquiet, une plongée vertigineuse dans les paradoxes d’une relation indéfinissable. Avec ce premier livre, Dea Liane ne cherche ni à juger ni à absoudre, mais à dire ce qui se cache et ne se dit pas, à explorer ce qui lui échappait enfant. Un récit délicat, où chaque mot résonne comme un écho lointain, entre gratitude et mélancolie. Une lecture qui ne s’oublie pas.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Georgette de Dea Liane
Éditions de l’Olivier
Paru le 18 août 2023
160 pages
Prix conseillé 17 euros
Éditions Points
paru le 08 novembre 2024
prix conseillé 6.95 euros
