En quatre ans, le festival Everybody a su trouver sa place en distillant une énergie positive. De solos en pièces de groupe, il nous fait voyager dans des univers qui célèbrent la diversité des corps et des identités. Passer une soirée au Carreau du Temple, c’est sillonner entre différentes manières de concevoir l’acte chorégraphique en prise directe avec des questionnements sociétaux.
Puzzle identitaire

La soirée commence dans le studio de Flore, espace intimiste qui se prête bien à ce solo en forme de récit chorégraphique et autobiographique de Myriam Soulanges créé en 2022. Elle déboule sur le plateau, dépose quelques objets dont un portrait en noir et blanc de son père Socrate Soulanges, Guadeloupéen immigré à Paris au milieu des années 1950. C’est à ce père qu’elle adresse cette pièce qui interroge son histoire familiale et dénonce une domination patriarcale et coloniale.
Dans Cover, elle incarne plusieurs identités féminines, d’abord dissimilée de dos à totalement extravertie face au public. Elle narre son histoire avec une répétition de gestes jusqu’à l’épuisement. Des déplacement latéraux avec rotations de la tête à la limite de la désarticulation signent un jusqu’au-boutisme engagé. L’interprète se livre sur sa vie personnelle : ado livrée en pâture à un prédateur, puis danseuse et chanteuse sur laquelle on projette des fantasmes d’exotisme. « Avec tes origines, tu dois savoir bien bouger ton corps… ». Ce solo aide à déposer au plateau son histoire personnelle, à la transcender en la transformant en projet chorégraphique.
Jalonnant son solo de références à quelques grandes figures noires, elle mêle avec une énergie décapante danse, prises de parole et archives sonores. Elle parvient à assembler les pièces de son puzzle identitaire pour s’affirmer en tant qu’artiste. En conclusion, Myriam Soulanges donne à entendre les mots tranchants de la poétesse et afroféministe Kiyémis, autrice d’À nos humanités révoltées. Un parfait écho à cette pièce sensible et puissante.
Partition chorégraphique à partir de gestes dessinés

Pour poursuivre la soirée, rendez-vous au cœur de la Halle du Carreau du Temple. Alice Davazoglou, danseuse remarquée dans le duo De Françoise à Alice, chorégraphié par Mickaël Phelippeau (qui participe à la pièce), présente son projet Danser ensemble qu’elle a imaginé pour dix interprètes-chorégraphes. Bousculant les idées reçues, c’est elle « trisomique normale mais ordinaire », comme elle se définit dans son livre, qui mène la danse. À partir d’une série de gestes dessinés, elle a composé une partition dont chaque chorégraphe s’est saisi pour concevoir un duo.
Après une introduction joyeuse où chacun se met en jambes sur le coaching de Soprano (« Il est temps d’aller pousser, on a des rêves à soulever »), Alice Davazoglou se place derrière sa table de chorégraphe et orchestre les entrées et sorties des binômes qui attendent sur le côté du plateau. On reconnaît dans ces propositions très diverses, variations autour de la rencontre dansée, les univers de chacun qui se mêlent avec douceur, humour ou nostalgie.
Comme jalons, les propositions d’Alice reviennent de façon récurrente et tendent des fils invisibles et communs à tous les duos. Chacun des dix chorégraphes se dévoile comme poussés dans ses retranchements chorégraphiques et physiques par la proposition de la jeune femme. Pour des personnalités avec un long parcours derrière eux comme Béatrice Massin à Alban Richard, pour ne citer qu’eux deux, la proposition apparait comme roborative. À la fin, Alice les rejoint pour un moment de communion festive, de « danser ensemble » où leur complicité éclate et rassérène.
Claudine Colozzi
Festival Everybody
du 14 au 18 février 2025
Cover de Myriam Soulanges
spectacle créé en 2022
Assistante chorégraphie et dramaturgie : Valérie Castan
Dramaturgie : Manon Worms
Création musicale : Yann Cléry
Musiques additionnelles : Slave to the Rhythm de Grace Jones et Antillanité de Gordon Henderson
Re création lumière : Bia Kaysel
Régie en alternance avec : Marie Martorelli
Danser ensemble d’Alice Davazoglou
Créée le 28 septembre 2024, au festival C’est comme ça de l’Échangeur – CDCN Hauts-de France à Château-Thierry (02).
Durée : 60 mn
Tournée
16 et 17 avril 2025 au Festival A Corps, TAP, Scène Nationale de Poitiers (86)
4 au 8 juin 2025 au Festival La Maison Danse, La Maison CDCN Uzès Gard Occitanie (30)
Dates passées
17 et 18 février 2025 au Carreau du Temple dans le cadre du Festival Everybody
28 février et 1er mars 2025 au Festival DansFabrik, Le Quartz, Scène Nationale de Brest (29)
avec Gaëlle Bourges, Lou Cantor, Bruce Chiefare, Nathalie Hervé, Marc Lacourt, Bérénice Legrand, Xavier Lot, Béatrice Massin, Mickaël Phelippeau, Alban Richard
Assistantes Artistiques – Marion Gaben & Mélanie Giffard
Facilitatrices de projet – Françoise Davazoglou & Jeanne Métivier
Création lumière – Abigail Fowler
Régie son de Laurent Dumoulin
Régie générale de Joris Valet
Vidéo de Thibaut Ras