Il y a quelques décennies qu’Erdal, d’origine kurde, a dû fuir la campagne anatolienne pour échapper aux répressions turques. Pourtant, à l’arrivée d’un parcours qui s’est soldé par le statut de réfugié politique en Suisse, puis en France, certaines peines persistent.
Au travers du kaléidoscope

Portrait chronologique d’un exilé, Erdal est parti répartit les fragments d’une même identité entre plusieurs comédiens. Chaque interprétation vient teinter l’histoire de nouvelles nuances, faisant primer la justesse sur l’imitation. Sur cette image projetée d’un bout à l’autre du plateau, le personnage éponyme détaille les paysages de son Anatolie natale, les persécutions turques, l’arrivée en Europe ensuite. Et chaque étape de son exil se manifeste dans les corps. Un mouvement peut trahir ce qu’Erdal a tu. Le groupe se distribue chaque facette de sa personnalité, mais aussi les pensées parasites qui le traversent.
Conscient de l’impossibilité de poser le réel sur le plateau, Simon Roth brise la glace pour tenter de capturer un peu de vrai dans le kaléidoscope. Le reflet trouble de cette tour de Babel où les répliques s’énoncent en grec, kurde, turc et français. L’universalité d’une solitude persistante. Le vraisemblance d’une instruction, rejouée dans une douche blafarde, instruction dans laquelle un juge trahit son mépris pour un jeune accusé qui explique qu’il lui a fallu répondre aux coups : « la violence, c’est quand on manque de mot. ».
Partout la violence
Dans ce question-réponse sensible, Simon Roth ménage chaque fois un espace pour la pudeur. Pourtant, dans ce texte à trous, la violence se glisse partout, en creux. La violence du pouvoir turc à l’égard des kurdes, d’abord. Puis celle de son frère et enfin celle des institutions qui, comme toutes celles qui ne disent pas leur nom, jalonnent le parcours d’Erdal.
Loin d’un voyeurisme déplacé qui viendrait fétichiser sa peine, l’auteur et metteur en scène montre le spectacle pour ce qu’il est : une tentative de comprendre, de faire comprendre, de transmettre à l’heure où les barrières s’érigent partout.
Les mécaniques de la création au grand jour

En détaillant son processus de création, le jeune metteur en scène offre à son personnage des marges de résistance. Ce n’est pas parce qu’Erdal devient spectateur de sa propre existence qu’il n’a pas son mot à dire. Au contraire, on l’entend, on le cite et on le laisse maître de son propre récit, mais aussi de la façon dont il est donné à voir.
On accepte alors la pièce avec toute sa magie, mais aussi toutes ses limites. L’existence d’Erdal ne se limite pas à une heure et demi de performance. La pitié d’un public qui tape des mains à défaut de prendre part à un meilleur accueil des réfugiés, il n’en veut pas. Conscient qu’il n’existe pas de réponse parfaite, ni politique, ni théâtrale, aux situations qu’expose son protagoniste, Simon Roth assume ses propres tâtonnements. C’est sans doute cette humilité qui lui permet d’éviter tous les écueils du sujet et proposer une œuvre de théâtre documentaire insolite, profonde et d’une grande humanité.
Mathis Grosos
Erdal est parti de Simon Roth d’après une idée originale d’Erdal Karagoz
MC93
9 Boulevard Lénine
93000 Bobigny
du 5 au 16 mars 2025
durée estimée 1h45
Tournée
28 et 29 mars à la Scène de recherche ENS Paris-Saclay, Gif-sur-Yvette, en partenariat avec la Scène nationale de l’Essonne
Conception et mise en scène de Simon Roth
Avec Bénicia Makengele, Ramo Jalil, Richard Dumy, Saïd Ghanem, Simon Roth
Scénographie et costume d’Emma Depoid
Création lumière et vidéo de Simon Anquetil
Création son et régie générale de Foucault de Malet
Stagiaires assistanat à la mise en scène – Mathilde Hur et Sasha Paula