Vos débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
Je devais avoir sept ans. C’était aux États-Unis, dans une sorte d’immense restaurant avec des serveurs habillés en cowboys. Tout à coup, ils se sont mis à faire un show de danse country. Je les ai rejoints. Je me souviens d’avoir été foudroyé de plaisir. Mon grand-père a dû me traîner par les pieds pour me sortir de scène. Je l’aurais tué.

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
Les premières personnes que j’ai côtoyées. Elles étaient incapables de dialoguer mais avaient un grand sens du jeu et du récit.
Ma mère peut improviser des histoires à l’infini et a une passion aiguë pour la connerie.
Mon père a sillonné l’Amérique de long en large sur une Harley-Davidson. Quand il rentrait en Belgique, il me racontait les grands espaces, les cowboys, le blues.
J’aimais suivre mon grand-père dans les brocantes bruxelloises, place du Jeu de Balle. Il avait un accent à couper au couteau et des mots en brusselleir du genre “Pateike”, “Ziverdera”, “Dikkenek”. Ma grand-mère nous attendait à la maison avec l’accent flamand. J’adorais les imiter. On a tous un rôle dans une famille. Les rapports étaient compliqués. Moi, je faisais le clown.
Pourquoi ce métier ?
Ado, j’avais le désir de jouer, mais un désir encore plus fort était celui de comprendre. J’ai étudié la réalisation de cinéma, puis j’ai suivi un master en dramaturgie et un autre sur les monnaies complémentaires. J’ai passé énormément de temps à l’université à tenter de saisir le monde : celui d’un auteur, une structure dramatique, les ressorts de l’action.
Jeanne Candel est venue donner un stage de jeu avec Laure Mathis aux apprentis dramaturges que nous étions. Elle m’a invité à rejoindre son collectif La Vie Brève pour un labo autour des Frères Karamazov à Paris. Sauf qu’elle a voulu que je joue ! Je suis passé de ma planque remplie de livres et de théorie à improviser avec des comédiens qui me sidéraient par leur talent : Laure, Sarah Lepicard, Vladislav Galard, Lionel Gonzalez… C’était vertigineux. Ça a commencé comme ça. Je n’ai plus voulu quitter le plateau.
Passions et inspirations

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
(A)pollonia de Warlikowski en 2009 dans la cour d’honneur du Palais des Papes. J’avais 20 ans. Je n’ai pas tout compris, mais justement, c’était un choc esthétique.
Puis il y en a eu tellement : La Barque du Soir de Claude Régy, Le Crocodile Trompeur de Samuel Achache et Jeanne Candel, Disabled Theater de Jérôme Bel, My Dinner with André de STAN et De KOE, La Menzogna de Pippo Delbono, The Old King de Romeo Runa et Miguel Moreira, La Chambre d’Isabella de Jan Lauwers, Cécile de Marion Duval, Duet de Nans Laborde-Jourdàa et Margot Alexandre, La Vecchia Vacca de Salvatore Calcagno, Le Rêve et la Plainte de Nicole Genovese…
Et puis, le Nature Theater of Oklahoma, Rimini Protokoll, Brett Bailey, Tiago Rodrigues, Angélica Liddell, les metteurs en scène allemands, les chorégraphes flamands… Je pourrais continuer longtemps.
Je vais beaucoup au théâtre et même si m’y ennuie souvent, j’aime ce lieu. Quelqu’un vient face à d’autres et fait quelque chose. C’est si simple, si primordial, parfois si puissant. J’ai une fille de deux ans, et je le constate encore : on est fait de cela, du langage, du jeu, du jeu du langage. Ça me fascine.
Quelles rencontres ont marqué votre parcours ?
Juliette Navis, sur le spectacle Le Goût du Faux et Autres Chansons. Avec Nans Laborde-Jourdàa, on était assistants de Jeanne Candel. Je la trouvais géniale. Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains, je lui ai dit que je voulais travailler avec elle. On était amis, alors je lui parlais de ce que je connaissais : les monnaies complémentaires. Je lui faisais des imitations de flic belge. Ça la faisait rire.
Un jour, elle m’a proposé d’être l’acteur solo de son projet autour de Jean-Claude Van Damme et de l’écologie. Je n’ai pas compris ce qu’elle me disait, j’ai failli avoir une attaque et j’ai dit oui. À partir de là, ça a été un long parcours. On a commencé à travailler dans son salon en 2015. On a fait Avignon en 2019. Dans trois semaines, on joue à La Commune d’Aubervilliers. Juliette est la rencontre artistique la plus importante de ma vie.

Où puisez-vous votre énergie créative ?
Dans la joie, mais aussi dans la révolte intime et politique. La joie n’est permise que si ce qu’on dit, ce qu’on fait, est brûlant.
J’ai toujours gardé à l’esprit La Société du Spectacle de Guy Debord. Si ce n’est que du pur divertissement, je me fatigue très vite. La nécessité vient du fait qu’on s’attaque à un point aveugle de la société, comme on a tenté de le faire avec l’argent dans J.C.. Ou alors qu’on cherche autour du langage. Bref, ce qui me met en mouvement, c’est la nécessité de déplacer quelque chose.
Juliette Navis cite souvent Árpád Schilling en disant qu’il faut faire exploser des bombes dans la tête du spectateur. Ça me parle : éclater des systèmes, des idées reçues, faire penser l’impensé.
En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Grauwels vient du flamand Grauw, qui signifie gris, lugubre, triste, taciturne. Quiconque a grandi en Belgique a un rapport à la mélancolie. Je pense que l’humour de son peuple, sa volonté de faire groupe, se sont construits en opposition à la grisaille. Sur scène, je cherche la lumière. Elle advient quand on crée une communauté, même fugace, avec les spectateurs, là où la société de consommation nous isole.
L’art et le corps

Que représente la scène pour vous ?
La liberté. Et quand on la trouve, elle est contagieuse.
Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de jouer ?
J’aime bouger. En boîte de nuit ou sur un plateau. Le mouvement crée le désir.
Rêves et projets
Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Ceux avec qui je bosse en ce moment. Laura Mathis et Juliette. C’est le pied. Pourvu que ça dure.
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Une société sans smartphone, bordel de cul.
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
L’éclat de rire de ma fille.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
J.C. de Juliette NAVIS, librement inspiré d’Au cœur de la monnaie de Bernard Lietaer
spectacle présenté en juillet 2019 au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival d’Avignon OFF
Durée 1h00
Reprise
27 mars au 5 avril 2025 au Théâtre La Commune CDN d’Aubervilliers
15 avril au 18 avril 2025 à La Comédie – CDN de Saint-Etienne
29 avril 2025 à l’Espace 1789 – Saint-Ouen
• 2025-2026 – En tournée Hiver 2025 / Printemps 2026
Mise en scène de Juliette Navis
Avec Douglas Grauwels
Création Lumière d’Arnaud Troalic
Ecriture du corps c’Elik Niv
Regard extérieur de Pierre Devérines
À l’Ouest du collectif Bajour
création en juillet 2023 à La Manufacture dans le cadre du Festival Off Avignon –
Durée 2h20
Tournée
25-26 mars 2025 au Centre Culturel André Malraux / Vandœuvre-lès-Nancy (54)
4-5 avril 2025 au Théâtre du Champ-Fleuri / Saint-Denis (La Réunion) (97)
11 avril 2025 au Théâtre Luc Donnat / Le Tampon (La Réunion) (97)
15 avril 2025 à La Rampe / Échirolles (38)
18-19 avril 2025 au Théâtre de la Renaissance / Oullins (69)
Mise en scène Leslie Bernard et Matthias Jacquin
Avec Leslie Bernard, Julien Derivaz, Julie Duchaussoy, Matthias Jacquin, Hector Manuel, Asja Nadjar/Adèle Zouane, Georges Slowick, Alexandre Virapin
Scénographie François Gauthier-Lafaye
Création et régie lumière Julia Riggs
Création et régie son Marine Iger
Construction et régie plateau François Aupée