Dieudonné Niangouna dans Fantome © Matthias Horn
Dieudonné Niangouna dans Fantome © Matthias Horn

Dieudonné Niangouna : « Le théâtre est un pacte d’écoute »

De passage dans quelques jours à Points Communs - Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise pour présenter son seul en scène, De ce côté, le comédien, auteur et metteur en scène évoque son rapport au monde, au langage et à la scène.

Dieudonné Niangouna : Je suis né au Congo-Brazzaville, dans une maison où la littérature tenait une place centrale. Mon père, August Michel Niangouna, était un intellectuel, grammairien — le premier du pays — amoureux des mots et de la transmission. La maison était une bibliothèque et une vidéothèque ouvertes : romans, théâtre, grammaires, films d’auteur… Des captations de pièces de la Comédie-Française aux films de Kurosawa, j’ai grandi dans un bain de langage et de narration.

De ce côté de Niangouna Dieudonné © Sean hart
De ce côté de Niangouna Dieudonné © Sean Hart

Et puis il y avait aussi ma grand-mère paternelle. Dans le village où elle vivait, elle était conteuse, guérisseuse et rebouteuse. Chez nous, les guérisseuses racontaient des contes, car guérir, c’est soigner autant le corps que l’esprit, et cela passe par les plantes comme par la parole. Elle m’emmenait souvent avec elle pour m’apprendre son savoir.

Influencé par les pièces et les textes que mon père ramenait de ses voyages en France, notamment lorsqu’il donnait des conférences dans différentes universités, j’ai commencé à écrire mes propres récits. Je me souviens avoir lu très tôt les œuvres de Camus, d’Ionesco et d’Aimé Césaire, mais aussi des longues soirées passées à écouter ma grand-mère qui racontent des récits épiques où se mêlaient histoire et légende.

Dieudonné Niangouna : Exactement. D’un côté, le théâtre littéraire ; de l’autre, l’art du conte. J’ai complété cela par des formations dans les troupes congolaises dites classiques, issues de l’héritage colonial. Puis j’ai eu la chance de rencontrer Sony Labou Tansi et son Rocade Zulu Théâtre, Emmanuel Dongala et son Théâtre de l’Éclair, ainsi que des metteurs en scène français comme Jacques Livchenine et Hervée de Lafond, qui venaient animer des stages mis en place par le Centre culturel français de Brazzaville et de Kinshasa. Par ailleurs, j’ai aussi découvert des figures majeures comme Jean-Pierre Guingané au Burkina Faso, qui m’a marqué par son engagement pour un théâtre populaire, accessible à tous. Mon chemin de théâtre est une accumulation de voix, de traditions, de formes.

De ce côté de Niangouna Dieudonné © Sean hart
De ce côté de Niangouna Dieudonné © Sean Hart

Dieudonné Niangouna : L’exil n’est pas un lieu, mais une manière d’être au monde. Ce que je cherche, ce n’est pas un discours sur l’exil, mais une poétique de l’éloignement. Comment vit-on avec ce que l’on quitte ? Quels fantômes nous accompagnent ? L’exil, c’est toujours une question d’esthétique. Dans Attitude Clando, j’abordais l’exil sous l’angle du clandestin, du corps en errance. Chaque spectacle est une brique de cette réflexion. Et Dieu ne pesait pas lourd évoque aussi cette tension entre l’appartenance et la perte, entre mémoire et reconstruction.

Dieudonné Niangouna : Je ne fais ni  du théâtre documentaire ni du théâtre de revendication. Je viens du champ poétique. Le poétique, au théâtre, c’est avant tout une expérience humaine, un corps qui parle, une parole qui prend racine dans l’espace. Dans Le Socle des Vertiges, par exemple, j’aborde la folie du pouvoir, mais sous une forme onirique, où la parole devient presque incantatoire. De la même manière, Les Inepties Volantes . je raconte la guerre civile au Congo, mais à travers des visions hallucinées, des éclats de langue qui traduisent l’état de chaos. Ce n’est pas un manifeste, c’est une plongée sensorielle dans une mémoire bouleversée.

Dieudonné Niangouna : Les deux. Le bar, c’est un lieu de passage, d’échange, d’oralité. C’est aussi un espace où la parole peut s’envoler, être libre, décalée. Dans ce seul en scène que j’ai commencé à écrire pendant le confinement — car je déteste n’avoir rien à faire — ce bar devient un espace où l’exilé transforme ses souvenirs en poésie, où il fait du stand-up sur son propre déracinement. Ce bar existe, mais ce n’est pas lui qui compte : c’est ce qui s’y dit, ce qui s’y crée, ce qui s’y écoute. J’aime que le spectateur ne sache jamais totalement si ce qu’il entend est du réel ou du mythe. 

De ce côté de Niangouna Dieudonné © Sean Hart
De ce côté de Niangouna Dieudonné © Sean Hart

Dieudonné Niangouna : Le théâtre, depuis toujours, c’est quelqu’un qui se lève et qui parle à d’autres. Qu’importe que ce soit sous un baobab, dans un théâtre classique ou un bar, la base reste la même : une histoire à partager. Quand je vois Le Mahabharata de Peter Brook ou les performances de Sotigui Kouyaté, je retrouve cette essence du récit qui fait communauté. Ce pacte d’écoute, ce moment suspendu où l’on entre dans la parole de l’autre, voilà ce qui m’intéresse. J’aime aussi la folie d’un Dario Fo, qui fait surgir le grotesque dans le quotidien, ou la radicalité de Rodrigo García, qui bouscule la parole avec une énergie brute.

Dieudonné Niangouna : Un art de la présence. Tant qu’il y aura des voix pour raconter et des oreilles pour écouter, il y aura toujours du théâtre. Ce n’est pas un art de la conservation, mais un art de la combustion : chaque représentation est une braise, une étincelle qui ne demande qu’à enflammer l’imaginaire de ceux qui écoutent.


De ce côté de Dieudonné Niangouna
Points Communs – Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise
Théâtre 95
1 place du Théâtre
95000 Cergy

10 au 12 mars 2025
Durée 55 min

mise en scène et jeu – Dieudonné Niangouna – Compagnie
Les Bruits de la Rue
Création lumière, régie générale – Laurent Vergnaud
Création vidéo de Sean Hart

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