Femme de lettres revendiquant sa liberté, artiste de music-hall, Colette a toujours devancé son époque. Dans ses Dialogues de bêtes, elle donnait la parole à son bouledogue Toby-Chien et à son chartreux Kiki-la-Doucette, ignorant que bien des années plus tard, les réseaux sociaux seraient envahis de chats et de chiens racontant leur vie et leurs maîtres.
Pas si bête que chat
Colette fait dialoguer deux animaux familiers pleins d’amour envers leurs maîtres. L’autrice décrit admirablement les différences entre ces petites boules de poils. Le premier est réputé pour sa fidélité envers ses maîtres et le second pour son indépendance. Toby est un gros naïf, avide de caresses et d’attention. Kiki, plutôt blasé et malicieux, règne en maître sur la maison. Dans ces saynètes du quotidien, le chien et le chat les regardent vivre sans toujours bien comprendre leurs attitudes.
Par les mots du chien et du chat, Colette fait entendre sa vision du monde et des relations entre les hommes et les femmes, les humains et les animaux. Élisabeth Chailloux (Personne, Hilda, Camus-Casarès) et Lara Suyeux – qui est à l’initiative du projet – signent une adaptation très fine qui trace, en filigrane, le portrait de celle qui deviendra l’une de nos plus grandes écrivaines. À travers une conversation entre le chien et le chat qui se dorent au soleil puis dans un train, elles exposent deux tableaux de la vie ordinaire, chez Colette et son époux Willy. C’est charmant et campagnard. Tout respire le bonheur de vivre, le charme discret de la bourgeoisie.
Le bel hommage à une grande dame
Dans les tableaux, l’orage gronde. Quelque chose ne va pas, le repas n’est pas prêt. Toby affolé cherche à comprendre sa maîtresse qu’il aime tant. Kiki observe et se délecte. Ayant enfin compris que son époux Willy la réduisait à le servir telle une bonne épouse, la trompant et lui volant ses écrits, Colette se rebelle. Prenant à témoin les deux bêtes, elle décide de devenir La Vagabonde et vivre pleinement comme elle l’entend. Colette ne sera plus attachée à son mari comme un chien à son maître et, tel un chat, décide de n’en faire qu’à sa tête.
La très belle idée est d’avoir demandé à Cyrille Meyer d’illustrer les propos par ses dessins à l’aquarelle, réalisés en direct et projetés sur une toile. Cela donne un charme fou. Avec tout le talent qu’on lui connaît, Élisabeth Chailloux met en scène ces instants de vie avec sensibilité et poésie. Passant avec aisance de Toby à Kiki, de Colette à Willy, la prestation de Lara Suyeux est admirable. Avec une belle adresse, elle donne corps et voix à ces deux magnifiques petites boules d’amour et fait entendre toute la beauté de la langue de Colette.
Marie-Céline Nivière
Les dialogues de bêtes, de Colette, d’après une idée originale de Lara Suyeux
Poche Montparnasse
75 boulevard Montparnasse
75014 Paris.
Du 16 mars au 19 mai 2025
durée 1h10.
Adaptation : Élisabeth Chailloux et Lara Suyeux
Mise en scène : Élisabeth Chailloux
Avec : Lara Suyeux (jeu) et Cyrille Meyer (dessin)
Lumières : Olivier Oudiou
Scénographie et régie générale : Simon Desplebin
Son : Xavier Jacquot
Costumes : Sophie Schaal.
