David Paquet - Le poids des fourmis © Guillaume Boucher
© Guillaume Boucher

David Paquet : « Les artistes et les ados sont des créatures très similaires. »

Le poids des fourmis a fait carton plein à la manufacture durant le festival Off d’Avignon 2024. À l’occasion de sa venue au Paris-Villette nous avons rencontré son auteur tout juste arrivé de Montréal.

David Paquet : Pendant longtemps, au Québec, le théâtre jeune public était prisonnier de ses intentions pédagogiques. Il fallait apprendre de belles choses aux enfants. À l’époque, ce n’étaient pas les enfants qui se rendaient au théâtre, mais plutôt les pièces de théâtre qui allaient à l’école. Ce désir de rendre l’art accessible était noble, mais le formatage éducatif qui en a découlé demeure questionnable. Puis, vers le début des années 90, des artistes et des compagnies ont tenu à rappeler que le théâtre était une expérience en soi. Reconnaître les enfants et les adolescents comme des spectateurs entiers, et non un groupe à éduquer, a représenté le réel début de cette mouvance de théâtre « pour adolescents ».

Le poids des fourmis - David Paquet - Philippe Cyr © Yanick Macdonald
© Yanick Macdonald

David Paquet : Pour moi, la notion de théâtre pour adolescent en est une de marketing et de diffusion, mais pas d’écriture. J’écris pour ados, comme j’écris pour adultes. Et vice-versa. Je garde en tête, évidemment, que je m’adresse à un public souvent captif (ce que vous appelez les scolaires) et possédant une moins grande expérience de spectateur. Cela dit, j’ai cette chance inouïe que mon univers dramatique soit compatible avec la sensibilité adolescente. Ça m’est apparu évident en 2009, lorsque j’ai écrit ma première pièce pour les adolescents, 2h14. Ce n’est pas quelque chose que j’ai volontairement trafiqué !

David Paquet : Je l’espère et il ne faut pas perdre ça ! Je crois que les artistes et les ados sont des créatures très similaires. Ce sont des idéalistes dans leur soif d’absolu, dans leur désir de résistance, dans leur tendance à porter un regard critique sur le monde…

David Paquet : Voilà ! Ensuite, le théâtre peut-il changer le monde ? Je l’ignore. Cela dit, je trouve fort déterminante la rencontre entre un public adolescent et une œuvre d’art. Quand j’écris une pièce destinée aux ados, ma responsabilité est plus grande. Pour certains, au Québec du moins, ce sera la toute première fois qu’ils assisteront à une pièce de théâtre. Cette première impression est fondamentale. S’ils aiment, ils voudront revenir et aller voir d’autres pièces. Savoir que j’ai une influence sur l’appréciation qu’ils se feront de l’art théâtral est une responsabilité que je ne prends pas à la légère.

Cela dit, avec Le poids des fourmis, j’ai surtout travaillé dans une optique de public intergénérationnel. Les sujets de la pièce, l’engagement citoyen, écologique, politique, et ce sombre futur qui se profile, permettent d’ouvrir un dialogue entre les spectateurs de tout âge sur ce qui nous attend. Porter les choses ensemble, c’est déjà moins lourd. C’est ça aussi, Le poids des fourmis.

Le poids des fourmis - David Paquet - Philippe Cyr © Yanick Macdonald
© Yanick Macdonald

David Paquet : Parce que je suis peut-être un adolescent éternel, ma première idée a été, justement, de résister à la commande et de faire ce que je voulais. Avec ce verbe, je voyais très bien où ils voulaient m’envoyer : vers la résistance citoyenne et l’engagement politique. Comme à mon habitude, j’ai noirci des pages de matériaux textuels différents. À ma grande surprise, et pour la première fois dans mon parcours, ce sont les passages où je m’attaquais frontalement à la question politique qui étaient les plus riches. Ce n’était jamais arrivé jusque-là ; je viens d’une lignée plus surréaliste et fantasque. Grâce à la proposition de Bluff, je peux dire que Le poids des fourmis est un tournant dans mon écriture.

David Paquet : Et dans une époque qui va mal, aussi ! Que signifie avoir quinze ans aujourd’hui et recevoir en cadeau une terre si malmenée ? Un des rêves que fait Olivier (l’éco anxieux) est qu’on lui offre en cadeau une terre morte en lui chantant, à la place de « Bonne fête », « Bonne chance Olivier ! ».

David Paquet : Jeanne, c’est Antigone, Greta Thunberg… Cette lignée de femmes et d’êtres humains insoumis qui refusent de se taire. Une de mes portes d’entrée pour ce personnage a été la réplique qu’elle dit à une affiche publicitaire vantant un produit de beauté : « Fuck you, je suis déjà belle ». Malgré son jeune âge, Jeanne porte un regard très lucide sur le monde. Elle n’en a pas uniquement après les standards de beauté féminine, elle mitraille le monde de ses revendications. Elle donne des médailles non pas d’or, mais de merde ! Et elle juge que son école mérite une médaille de merde.

Le poids des fourmis - David Paquet - Philippe Cyr © Yanick Macdonald
© Yanick Macdonald

David Paquet : Au Québec, comme aux États-Unis, il y a de grosses coupures de budget en éducation. Affaiblir l’éducation, c’est garantir une faillite intellectuelle et citoyenne. Ce lycée, c’est un microcosme du monde dans lequel on vit et où l’on coupe tout ce qui est important : éducation, santé, culture… C’est terrible, mais il y a là, en termes de dramaturgie, un grand potentiel comique…

David Paquet : Je suis chanceux et fier d’être un auteur québécois. Je trouve cette langue extrêmement musicale, riche et résiliente. Un peu comme Jeanne et Olivier, ces deux élèves qui refusent de sombrer (rire). On est une minorité linguistique dans un continent et un pays presque unilatéralement anglophone. J’aime l’idée que ces personnages-là, et ces acteurs, ne masquent pas leur québécitude. Oui, nous avons apporté quelques aménagements langagiers pour la France, mais à peine. Surtout, au-delà de la langue québécoise, il y a la langue de l’auteur. Ces personnages, comme tous mes autres, sont poètes malgré eux.

David Paquet : Selon moi, Philippe est un de nos grands metteurs en scène québécois. C’est notre deuxième collaboration. Avant, il y a eu Le Brasier, une pièce pour adulte. Il comprend tout le registre de mon écriture, c’est-à-dire le funambulisme émotif entre la comédie et le tragique. Philippe Cyr, c’est un cadeau dans ma carrière !

David Paquet : Ce n’était pas la première fois qu’une de mes pièces y était programmée, mais c’était la première fois que, moi, j’étais sur place ! Le poids historique, je le devinais, mais je ne le comprenais pas complètement et j’ai trouvé ça génial d’arriver à Avignon en étant relativement néophyte. Ça permet moins de pression et plus d’émerveillement. Puis, j’ai eu la chance d’être épaulé par Bluff qui était déjà passé par là avec Antioche et d’être entouré d’une équipe française de presse et de diffusion bien rodée.

Le poids des fourmis - David Paquet - Philippe Cyr © Yanick Macdonald
© Yanick Macdonald

David Paquet : Et à 10 heures du matin ! J’avais peur de ça. Je me demandais : « Mais qui va venir si tôt prendre un car pour aller voir une pièce québécoise avec des inconnus ? » Le jour de la troisième représentation, quand j’ai vu 180 personnes attendre devant la Manufacture pour aller prendre le bus, j’ai été extrêmement ému. Le lendemain, on a été complet jusqu’à la fin. 

David Paquet : On a vu à Avignon que dans le bon contexte, la magie s’opère. Donc, nous sommes confiants. Le spectacle a été présenté en matinée et en soirée, dans ce théâtre le 24 juin dernier, le jour de la Saint-Jean-Baptiste, fête nationale québécoise. Adrien de Van et toute son équipe ont été d’un accueil impeccable. Quant à être joué à Paris, c’était un rêve depuis que j’ai terminé mes études. Je vais en profiter, car je m’y installe pour cinq semaines en résidence d’écriture pour écrire ma prochaine pièce. Faut bien trouver une façon de revenir !


Le poids des fourmis de David Paquet (Lémac éditeur et chez Actes-Sud, collection Heyoka, à partir du 5 mars)
Théâtre Paris-Villette
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Du 7 au 15 mars 2025
Durée 1h15
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Mise en scène de Philippe Cyr
Avec Nathalie Claude, Gaétan Nadeau, Élisabeth Smith, Gabriel Szabo ou Alex Desmarais
Codirection artistique de Mario Borges et Joachim Tanguay
Scénographie d’Odile Gamache
Costumes d’Étienne René-Contant
Lumières de Cédric Delorme-Bouchard
Conception sonore de Christophe Lamarche- Ledoux
Assistance à la mise en scène Vanessa Beaupré.

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