© Vincent Arbelet

Cannibale d’Agnès D’halluin et Maud Lefebvre, l’amour cuit à cœur

Aux Célestins, Théâtre de Lyon, la compagnie The House reprend cette pièce avec la même équipe, dix ans après sa création.

Le cannibalisme ne se restreint pas à l’acte de consommer une viande issue de sa propre espèce. Au contraire, cela correspond en réalité à l’une des pratiques possibles, parmi les plus extrêmes. C’est du moins ce qu’en ont écrit les philosophes et les poètes à travers les époques, faisant de cette instinctive faim d’autrui un trait caractéristique de l’espèce humaine. Pour les deux hommes venus s’aimer face public en se coupant du monde extérieur dans Cannibale, c’est précisément cette notion de dévoration qui est en question. Elle a beau ne pas se poser frontalement, elle flotte sans cesse autour d’eux comme un besoin de faire corps avec l’autre.

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Développant en filigrane la thématique soulevée par son titre, la pièce écrite par Agnès D’halluin et mise en scène par Maud Lefebvre se structure avant tout sur la nature et la force des sentiments amoureux. Isolé en pleine montagne, ce couple doit en effet affronter l’inexorable : la mort annoncée de l’un des deux. Désormais modelé par cette fatalité, le quotidien se fait soudain moins évident. Jour après jour, l’un ne vit que par sa disparition à venir, quand le second refuse de céder un instant de vie à la résignation.

Plaçant son quasi huis-clos dans une scénographie qui assume pleinement son désir de naturalisation, Maud Lefebvre en profite pour approfondir l’immatériel et le symbole. Les tranches de vie qui composent Cannibale structurent, couche par couche, le portrait de ce couple engagé dans un combat qu’il n’évoque qu’avec précaution. Le binôme formé par Arthur Fourcade et Martin Sève le porte d’ailleurs avec une aisance déconcertante. Mais c’est aussi et surtout entre les lignes, dans les silences et dans les gestes, que s’instaure peu à peu l’ambiance mortifère qui plane au-dessus des amants.

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Après tout, la littérature entière entretient, depuis des siècles, le modèle d’un amour inévitablement malheureux. Sans la tragédie des sentiments, à l’image de celle qui unit Tristan et Iseult, notre héritage romanesque paraît bien maigre. Dans Cannibale, c’est justement à travers la poésie que les deux hommes semblent trouver encore quelques instants de respiration. Véritables refuges dans une relation qui se déséquilibre à vue d’œil, les mots écrits et lus prennent le relais des paroles qui se heurtent désormais à l’impassibilité. Il est tellement plus simple de fuir l’éphémère que de se confronter à ce qui doit demeurer…

D’un tableau à l’autre, c’est en définitive cette problématique que pose Cannibale. Le rapport que l’on entretient à la mort de l’être aimé se fait de plus en plus prégnant. Il change par ailleurs de visage, devenant plus menaçant à mesure de l’obsession contradictoire qu’il alimente auprès des deux membres de ce couple. Trait par trait, Agnès D’halluin et Maud Lefebvre rejoignent alors leur questionnement initial : le meilleur moyen de survivre à la perte ne serait-il pas de faire corps commun avec celui qui part ? Sans imposer de lecture unique, cette pièce pousse insidieusement à l’interprétation des non-dits, au gré d’un parcours qui nous renvoie irrémédiablement – et avec une belle émotion – à notre animalité.


Cannibale d’Agnès D’halluin
Les Célestins, Théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Du 11 au 22 mars 2025
Durée 1h20

Avec Arthur Fourcade, Martin Sève
Texte : Agnès D’halluin
Histoire originale : Maud Lefebvre
Mise en scène : Maud Lefebvre / Compagnie The House / Collectif X
Scénographie : Charles Boinot, Maud Lefebvre, Stanislas Heller
Lumière : Valentin Paul
Vidéo : Charles Boinot, Clément Fessy
Son : Clément Fessy, Maud Lefebvre
Machinerie : Stanislas Heller
Régie générale : Guy Catoire

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