La rencontre est frontale. Dans son plus simple appareil, à quatre pattes sur une stèle de fortune, faite de métal recouvert de cuir rouge, sorte d’autel sacrificiel, multipliant les poses aguichantes, Harald Beharie se livre sans fard. Pas d’effet, pas de faux-semblant. Juste lui, dans une danse qui réclame autant qu’elle questionne. Gestes lents, explicites : il ne joue pas, il s’abandonne. Dans le silence, il construit et déconstruit son image, celle d’un Batty Bwoy – réappropriation de l’argot jamaïcain désignant un homme gay – telle qu’il la vit et telle que les autres la lui renvoient.
Le nu comme une revendication

Naviguant entre provocation et fragilité, le performeur capte le regard des spectateurs, les rend témoins intimes de son geste tout en se nourrissant de ce qui se joue entre lui et la salle. Le moindre frisson, le plus léger mouvement, et tout peut basculer. Ne cherchant jamais à dissimuler son corps ou son sexe, il s’offre autant qu’il confronte chacun à ses propres tabous.
Ici, la nudité n’est clairement pas gratuite. Elle répond aux violences subies, aux corps niés, aux identités contraintes. Un geste de reprise, une manière de dire : voilà, regardez-moi. Non pas en victime, mais comme une force. Les insultes détournées deviennent affirmations. La peau, revendication. L’espace, territoire à réinvestir.
Un geste hautement politique
Après le silence assourdissant, une bande-son électrique pulse dans l’air, accompagnant des mouvements tantôt anguleux, tantôt fluides. Le corps cherche, lutte, se donne. Il y a quelque chose de l’ordre du rituel, un désir de transgression, une liberté qui se gagne à chaque seconde, à chaque instant.
Et ce regard. Direct, scrutateur. Harald Beharie jauge, teste. Jusqu’où suivre ? Jusqu’où accepter ? La frontière entre l’acteur et l’observateur s’efface. Complicité ou voyeurisme ? Peut-être les deux à la fois. Un échange brut, mouvant, où tout se joue dans l’inattendu.
Batty Bwoy n’explique rien, il s’impose. Le performeur ne cherche pas à convaincre, il expose. Le politique et l’intime se croisent, se fondent, se déchirent. Une performance qui, une fois le noir retombé, ne quitte plus la peau.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Batty Bwoy d’Harald Beharie
Création le 20 janvier 2022 au Dansens Hus d’Oslo
Tournée
22 mars 2025 au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival Artdanthé
24 mars 2025 au Gymnase – CDCN de Roubaix dans le cadre du Festival Le Grand Bain
7 juin 2025 à La Commune, Aubervilliers, dans le cadre du Pavillon Danse Calixto Neto – avec les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Chorégraphie et interprétation – Harald Beharie
Collaboration artistique et sculpture – Karoline Bakken Lund et Veronica Bruce
Composition de Ring van Möbius
Régie son de Jassem Hindi
Regard extérieur – Hooman Sharifi, Inés Belli