Non loin du métro La Fourche, dans un café de quartier qu’elle affectionne pour sa convivialité et son côté populaire, Zoé Adjani irradie d’une lumière singulière et pleine de contrastes. Son regard clair, sa voix posée, légèrement fêlée, et son rire cristallin trahissent son goût mordant pour la vie. Pourtant, derrière cette belle sérénité et son côté très cash, on devine quelques fêlures et des doutes. Loin de les nier ou de les cacher, elle s’en nourrit. Elle est naturelle, et entend bien le rester.
Un nom et une identité

Enfant de la balle, fille d’un photographe et d’une directrice de production, nièce d’une célèbre comédienne, son patronyme ne saurait mentir. Cependant, elle ne cherche ni la gloire ni la célébrité. « Je n’ai jamais été carriériste. J’ai besoin d’être bousculée et d’être surprise. Ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est de raconter des histoires, que ce soit au cinéma ou au théâtre. Les planches m’attirent depuis l’enfance, c’est un endroit vertigineux où je me sens particulièrement bien. »
Jamais dans la posture ni dans l’affectation, la comédienne se raconte sans filtre. Sa vie personnelle, tout comme sa relation avec sa tante qu’elle évoque spontanément, sans mystère ni intérêt particulier. « On n’a pas du tout la même énergie », précise-t-elle. Ce qui la rend unique et touchante, c’est son insatiable curiosité, son goût pour la rencontre, la découverte et sa volonté d’explorer le monde à travers son métier. Les cases, très peu pour elle, ni celles que l’on veut lui imposer, ni celles que l’on se fabrique soi-même. « J’avance à l’instinct. Je ne cherche ni à brûler les étapes ni à être dans la lumière. » À 26 ans et une dizaine de films à son actif, Zoé Adjani suit son propre rythme et trace un chemin singulier entre exigence et liberté, en refusant de se laisser enfermer dans un parcours tout tracé.
L’appel du jeu

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Zoé Adjani a toujours joué. « J’ai toujours été très joueuse. C’est ce métier qui est venu assez naturellement dans ma vie », confie-t-elle. « Petite, j’inventais des histoires, j’imaginais des drames que je mettais en scène. Mes acteurs et actrices, c’étaient souvent mes jouets. » À cinq ans, elle s’initie à l’art dramatique, mais aussi à la danse. « Ma mère cherchait une activité pour canaliser mon énergie débordante. Ce fut le théâtre. J’ai vite compris que c’était un lieu unique, toujours en mouvement, où je pouvais m’exprimer librement. »
Baignée dans le cinéma et la culture depuis son enfance, Zoé Adjani se nourrit des classiques, de Peau d’Âne de Jacques Demy à Amadeus de Milos Forman, en passant par Andreï Tarkovski. « J’ai grandi dans le sud de la France, loin de Paris et des projecteurs, mais mes parents ont constamment tenu à m’initier à toutes les formes d’art. Cela m’a permis de comprendre la puissance des images, puis plus tard, la magie de la mise en scène. »
Des premiers pas devant la caméra à quinze ans
À quinze ans, elle passe son premier casting, presque par défi, et décroche le rôle principal dans Cerise de Jérôme Enrico. « J’y incarne une adolescente rebelle envoyée en Ukraine pour apprendre la discipline. » L’expérience la fascine sans la griser. Sa mère veille. « Elle m’a dit de prendre cette expérience comme un stage en entreprise et de d’abord passer mon bac. »
C’est donc loin des paillettes qu’elle se forme. Éprise de liberté, elle se laisse porter par les projets. À dix-huit ans, elle tourne un film indépendant au Brésil. « J’ai appris ce qu’était que le cinéma indépendant avec zéro budget », raconte-t-elle. « Ce métier est un océan de possibilités infinies, où l’on peut faire parvenir un message, une vision ou une émotion particulière qui vaut le coup d’exister avec presque rien. C’est un voyage permanent vers une multitude d’ailleurs.»
De l’écran à la scène, un défi vertigineux

En 2021, elle incarne Selma dans Cigare au miel de Kamir Aïnouz, un rôle intense et viscéral. Mais c’est sur scène qu’elle trouve une nouvelle dimension à son jeu. Elle fait ses premiers pas au Festival OFF d’Avignon et vit une révélation. « C’est là où j’ai complètement fait mes armes. C’est là où j’ai compris ce qu’était l’art dramatique. Je crois qu’il n’y a pas mieux pour être tout de suite dans le bain. » Le contact direct avec le public, la fragilité de l’instant, tout la fascine.
À peine cette expérience exaltante terminée, son agent l’informe que Philippe Calvario veut la rencontrer pour jouer dans sa prochaine production, Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset. « Je ne connaissais pas la pièce, je l’ai donc lue le soir-même. J’ai été séduite. Le lendemain, j’ai pris un café avec Philippe, ça a tout de suite matché. J’étais folle de joie, on a fait une lecture dans la foulée, entre les chaises et les tables du bar. C’était surréaliste. Je voulais jouer Octave, il m’a engagé pour le rôle de Marianne. »
Marianne Réinventée
Redonnant au personnage une profondeur inédite, Zoé Adjani sort Marianne de ses caprices et lui insuffle une belle modernité. « Ce qui m’a fascinée, c’est qu’elle a ce pouvoir de séduction dont elle ne veut pas. Pour les hommes qui l’entourent, son mari jaloux, son soupirant fou d’amour et enfin celui qui la trouble, mais qui la rejette, elle est un objet de désir. Elle refuse cet état, veut s’émanciper et être libre. » Pour se préparer, elle plonge littéralement dans l’univers de Marianne, allant même jusqu’à assister à des cérémonies religieuses pour comprendre sa piété.
Pour apprendre son texte, elle l’imagine comme une partition musicale, se laissant porter par les intonations, les crescendo, les accélérations. « Étonnement, les répliques de Marianne sont très modernes. Elle est confrontée à des questionnements proches des jeunes femmes d’aujourd’hui et de ce que je suis. Ce fut assez facile de s’en emparer, même des trois longs monologues. Le seul endroit qui a pris un peu plus de temps, c’est de trouver ce que moi je pouvais apporter au personnage. »
Une trajectoire libre et affranchie

Si Zoé Adjani séduit par sa présence, c’est parce qu’elle s’inscrit dans une démarche sincère. Refusant la facilité, elle n’hésite pas à travailler dans un restaurant ou un bar pour garder son authenticité. « Je préfère faire des métiers concrets plutôt que d’accepter n’importe quoi pour atteindre une notoriété. Je ne me suis jamais sentie carriériste. Toutefois, être sur scène ou devant une caméra, surtout aujourd’hui, dans un monde de consommation et de productivité à tout cran, est une nécessité à la fois politique, sociale, voire viscérale. »
Aujourd’hui, elle rêve d’une carrière éclectique, jonglant entre théâtre et cinéma, entre tragédies et comédies loufoques. « Nourrir les paradoxes, c’est ce qui m’anime », explique-t-elle. « J’aimerais beaucoup faire une tragédie au théâtre et enchaîner avec une comédie un peu loufoque au cinéma. »
Si le succès arrive tant mieux. Sinon, elle continuera à créer autrement. Car ce qui la guide, avant tout, c’est la passion.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset
Théâtre des Gémeaux parisiens
15 rue du Retrait
75020 Paris
Du 16 janvier au 30 mars 2025
Durée 1h20
Adaptation et mise en scène de Philippe Calvario
Avec Zoé Adjani, Philippe Calvario, Mikaël Mittelstadt en alternance avec Pierre Hurel (les 9 et 23 janvier 2025), Hameza El Omari, Delphine Rich, Christof Veillon
Collaboration artistique – Sophie Tellier
Scénographie de Roland Fontaine
Dramaturgie de Modestine Pelle
Costumes : Aurore Popineau
Création musicale de Christian Kiappe
Création lumière de Christian Pinaud
Régie générale – Sébastien Alves