Thérèse et Iasabelle de Violette Leduc, mise en scène de Marie Fortuit ©Marie Gioanni
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Thérèse et Isabelle : La radicalité incandescente d’une écrivaine 

En adaptant l’œuvre censurée de Violette Leduc au Phénix de Valenciennes, dans le cadre du Cabinet des curiosités, Marie Fortuit poursuit son exploration intime des écritures féminines et dresse le portrait en creux d’une femme et d’une autrice blessée.

Dos au public, pudique, vibrante, Violette Leduc (Raphaëlle Rousseau) adresse quelques mots à Simone de Beauvoir. Le style est direct, intense. À chaque intonation, on sent qu’au-delà de la reconnaissance mutuelle, d’une affection platonique, une passion amoureuse habite l’autrice de Ravages. Son débit se fait cascade, flot furieux. Un poison semble couler dans ses veines.

Thérèse et Iasabelle de Violette Leduc, mise en scène de Marie Fortuit ©Marie Gioanni
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Une nécessité urgente de raconter son histoire la brûle de l’intérieur. Encouragée par son amie — parfois même comme une ombre bienveillante, toujours à ses côtés jusqu’à sa mort en 1972 —, elle couche sur le papier ses premiers émois amoureux. Tellement incandescents qu’ils l’entravent et l’empêchent d’avancer. Sous sa plume, elle devient Thérèse.

Placée dans un pensionnat du nord de la France par sa mère, l’adolescente rencontre Isabelle (Louise Chevillotte). L’une est le cancre de service, l’autre la première de la classe. Entre les deux jeunes filles, une fulgurance. Un regard et leurs corps s’enflamment. Plus que de l’amour, c’est une passion physique et dévorante qui les unit. Dans un style âpre, authentique et poétique, Violette Leduc évoque son désir, sa sexualité, le besoin de l’autre, de son corps jusqu’à la satiété.

Le texte est radical. Le plaisir féminin est exposé crûment, ligne après ligne. Sans détours, frontalement, elle écrit les corps, la laideur, la honte. C’est beau, c’est stupéfiant. Simone approuve, la censure exige des coupes. La blessure est aliénante. Elle se sent amputée de cet amour fugace — à peine trois jours — plus brûlant que du fer rouge, mais aussi de sa place d’écrivaine. La folie l’emporte jusqu’au vertige, aux portes de son enfer intérieur. Sorti censuré en 1966, le roman sera édité dans son intégralité en 2000.

Thérèse et Iasabelle de Violette Leduc, mise en scène de Marie Fortuit ©Marie Gioanni
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Comment donner corps à l’impalpable embrasement des corps ? C’est toute la question. Avec beaucoup de délicatesse, de pudeur et peut-être un brin trop de sagesse, Marie Fortuit s’empare de cette ode à l’amour, pas celui des contes, mais celui, charnel, du désir. Le choix des comédiennes est d’ailleurs primordial. L’engagement doit être total. Le coup de foudre, une évidence. Raphaëlle Rousseau et Louise Chevillotte habitent leur rôle. Elles sont Thérèse et Isabelle, Violette et Simone.

dans la première partie du spectacle, qui évoque le pensionnat et la découverte de l’amour physiqu, l’alchimie n’est pas encore au rendez-vous. Le feu cherche encore ses braises. Le duo se révèle intense et vibrant quand la censure, telle une faucheuse, tranche dans le vif et s’érige en vertu outragée. La mort, que Violette appelle Madame Verglas, l’appelle de ses vœux. Son œuvre n’est pas reconnue. À quoi bon vivre ? Elle ne sait rien faire d’autre qu’écrire. Et elle le fait avec une telle sincérité, sans se soucier du qu’en dira-t-on, qu’elle en est bouleversante.

En offrant à Violette Leduc une visibilité qu’elle n’a que peu connue de son vivant, Marie Fortuit touche en plein cœur. En sortant de ce spectacle, où les corps tournoient, les têtes tournent et où les récits habitent la scène avec presque rien — trois lits en fer et un piano —, une seule envie demeure : se plonger dans ses romans hautement autobiographiques, les déguster jusqu’à sentir cette chaleur au creux des reins et croire en l’amour sans réserve et sans restriction !


Thérèse et Isabelle d’après Violette Leduc
Le Cabaret des Curiosités
Le Phénix – Scène national de Valenciennes
Boulevard Harpignies
BP 39 – 59301 Valenciennes Cedex
Du 26 au 28 février 2025
durée 1h30 environ 

Tournée
28 mars au 8 avril 2025 au Théâtre de la Ville – La coupole

mise en scène de Marie Fortuit
avec Louise Chevillotte, Marine Helmlinger, Raphaëlle Rousseau et Lucie Sansen
Dramaturgie de Rachel de DardelCostumes et scénographie de Marie La RoccaCréation maquillage de Cécile KretschmarCréation lumières deThomas CottereauCréation sonore d’Elisa MonteilConseils chorégraphiques – Leïla Ka

«Thérèse et Isabelle» est édité aux éditions Gallimard.

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