Anne-Laure Liégeois sait faire résonner les classiques. On se souvient de ses mises en scène de Peer Gynt de Ibsen, d’Edouard II de Marlowe, de La place royale de Corneille (Comédie-Française) et surtout de son Macbeth de Shakespeare. En s’attaquant à Phèdre de Jean Racine, elle éclaire cette grande figure féminine du répertoire.
« Craignez, Seigneur, craignez que le ciel rigoureux ne vous haïsse assez pour exaucer vos vœux ! »
Quand on aborde Phèdre au lycée, a-t-on l’âge de bien comprendre ses tourments ? Elle nous a souvent été présentée comme une hystérique prise par sa passion et sa folie d’aimer. Certains sont sensibles à cette tragédie complexe d’une femme tombée amoureuse de son beau-fils et qui sèmera autour d’elle désastre et mort. D’autres, et j’en fais partie, ont du mal à ressentir de la compassion pour elle. Si mon opinion n’a pas changé, reconnaissons à Anne-Laure Liégeois de lui rendre son âme.
Pour la metteuse en scène, « Phèdre est une sorcière comme les autres, Thésée un mâle dominant, Hippolyte un enfant victime, Aricie une fille qui voudrait avoir aussi droit au pouvoir » et, l’on ajouterait Théramène est une belle âme, Oenone une servante diabolique et les dieux des fauteurs de troubles. Il en résulte à la fin un jeu de massacre. Hippolyte, Oenone et Phèdre meurent. Thésée rempli de remords prend sous son aile la jeune Aricie. L’image de fin est très claire, le roi et l’homme tout-puissant, ne voyant que son intérêt et son plaisir, fait un geste indécent. Une main à la fesse qu’Aricie stoppe net en regardant le public. Voilà, c’est clair, il faut que cela cesse !
Noir c’est noir
Comme toujours avec Anne-Laure Liégeois, cela vibre. Sa scénographie est admirable. La scène est un ring où se déroule le combat entre ces âmes dépassées par leurs sentiments et la situation. Il est entouré de trois immenses canapés, où vont se réfugier les personnages lorsqu’ils ne sont pas en représentation. Costumes compris, tout est dans les tons noirs formant ainsi une grande toile à la Soulage. Seule Aricie a droit à de la couleur, car elle est porteuse d’espoir. Thésée, qui n’arrive qu’au troisième acte, déboule des enfers par la salle.
Avec sa silhouette de mannequin, son regard de braise, sa voix grave, Anna Mouglalis incarne une Phèdre incandescente. « J’aime… à ce nom fatal, je tremble et je frissonne » Celle qui fut une des Sorcières de Mona Chollet rend à Phèdre son statut de femme prise dans l’étau d’un monde d’hommes, celui du père et du mari, du pouvoir et de la manipulation.
Une troupe au diapason
Le pauvre Hippolyte, jeune homme sacrifié dès sa naissance à rechercher l’amour paternel et sa place dans ce monde, est magnifiquement porté par Ulysse Dutilloy-Liégeois (découvert dans Par les villages). Bon sang ne saurait mentir ! Sa confrontation avec le terrible Thésée, interprété par son père, l’exceptionnel comédien Olivier Dutilloy, prend des accents remarquables.
Laure Wolf est impeccable en Oenone, nourrice et confidente de Phèdre. C’est elle qui pour la protéger et lui rendre sa place de reine, mène sa protégée à sa ruine. David Migeot est un Théramène puissant. Son récit de la mort du prince est bouleversant. Liora Jaccottet, très subtile, donne à Aricie, celle qui aime et qui est aimée d’Hippolyte, de belles nuances. Citons également Ema Haznadar (Ismène) et Anne-Laure Liégeois (Panope). Portée par une mise en scène tout en émotion et subtilité, la compagnie Le Festin nous fait entendre les alexandrins et l’intrigue dans toute leur cruauté et leur beauté.
Marie-Céline Nivière, envoyée spéciale à Poitiers
Phèdre de Jean Racine
Spectacle vu à La Méta, CDN Poitiers Nouvelle Aquitaine le 27 janvier 2025
Durée 2h.
Création les 6 et 7 février 2025 au Cratère Scène nationale d’Ales
Tournée
11 au 14 février 2025 à La Comédie de Saint-Étienne – CDN
7 mars 2025 au Théâtre du Crochetan – Monthey (Suisse)
13 et 14 mars 2025 à L’Azimut – Antony / Châtenay-Malabry
20 mars 2025 à L’Équinoxe Scène nationale de Châteauroux
26 et 27 mars 2025 à La Filature Scène nationale de Mulhouse
1er avril 2025 au Moulin du Roc Scène nationale de Niort
3 avril 2025 à La maison Nevers
4 et 5 novembre 2025 à La Maison de la Culture d’Amiens – Scène nationale
13 et 14 novembre 2025 au Bateau feu Scène nationale de Dunkerque
18 novembre 2025 au Manège Scène nationale de Maubeuge
25 et 26 novembre 2025 au Méta Centre dramatique national de Poitiers.
Mise en scène et scénographie d’Anne-Laure Liégeois
Avec Anna Mouglalis, Ulysse Dutilloy-Liégeois, Olivier Dutilloy, Laure Wolf, Liora Jaccottet, David Migeot, Ema Haznadar, Anne-Laure Liégeois
Lumières de Guillaume Tesson
Musique de Lucie Antunes
Costumes de Séverine Thiebault
