Beluga Alias Nicolas Bellenchombre  © DR
Beluga Alias Nicolas Bellenchombre  © DR

 Nicolas Bellenchombre : « Le cabaret n’est plus ringard, c’est un lieu d’émancipation » 

Dans le cadre du Festival Everybody du Carreau du Temple, le créateur de La Sirène à Barbe, cabaret dieppois, évoque à bâtons rompus un art en pleine mutation, considéré par le ministère de la Culture comme un joyau culturel à part entière.

Nicolas Bellenchombre : L’idée a germé pendant le premier confinement. Deux ans auparavant, un soir, en me promenant dans les rues de Dieppe avec mon petit ami de l’époque, nous fredonnions Diane Tell quand nous avons subi une grave agression homophobe. J’ai eu le crâne fissuré, une fracture du sinus et un nerf sectionné. Au-delà des conséquences physiques, j’ai dû prendre des antidépresseurs pour remonter la pente. En moins d’un an, j’avais pris une trentaine de kilos.

Cabaret La sirène à Barbe © Jean Decaux
© Jean Decaux

En parallèle de cela, en face de chez moi, le cinéma de mon enfance venait d’être désaffecté au profit d’un multiplexe. Déserté, ce lieu chargé de souvenirs risquait de tomber dans l’oubli. Par ailleurs, j’ai toujours été attiré par les spectacles qui mêlent plusieurs disciplines : danse, musique, performance, humour… Et je suis aussi passionné de cinéma, de music-hall et de cabaret.

Tout cela m’a fait beaucoup réfléchir. Assez vite, j’ai ressenti l’urgence de créer un espace vivant, un lieu de partage et de célébration, un endroit de tolérance. C’est ainsi qu’est née La Sirène à Barbe, un cabaret de tous les possibles, ouvert à tous, où artistes et public peuvent être eux-mêmes sans jugement.

Nicolas Bellenchombre : Avant tout comme un espace de liberté. Ce n’est pas seulement un lieu festif où l’on rit et danse, c’est aussi un endroit où l’on réfléchit. Chaque spectacle raconte quelque chose, bouscule, interroge. Suite à ma prise de poids, j’ai souffert, et je souffre encore, de grossophobie. Si les femmes ne sont pas épargnées – tellement soumises à l’image que leur renvoient les magazines et les publicités : être belle, c’est être mince –, la communauté gay est encore plus impitoyable. L’apparence physique est un critère de sélection sans appel.

Grâce aux autres artistes, au public et à mon implication, j’ai appris à m’accepter à travers le cabaret. C’est donc tout naturellement que j’ai voulu que La Sirène à Barbe soit un espace bienveillant pour tous ceux qui, comme moi, ne rentrent pas dans les cases. D’ailleurs, mon personnage scénique, Béluga, est né en réponse à toutes les attaques et aux regards subis. Gros je suis, je serai donc une baleine, une figure à la fois douce et puissante qui incarne cette acceptation du corps et de soi-même.

Cabaret La sirène à Barbe © Jean Decaux
© Jean Decaux

Nicolas Bellenchombre : Notre identité repose sur plusieurs piliers : la diversité des artistes et des numéros, une programmation en perpétuelle évolution et une volonté d’engagement social. Contrairement à de nombreux cabarets plus classiques, où les spectacles sont souvent les mêmes, nous renouvelons constamment notre répertoire. Chaque soir est différent, chaque représentation propose une nouvelle expérience. Nous avons plus de 400 numéros au répertoire et, en fonction des artistes présents, le spectacle que nous présentons est très différent.

Notre approche artistique est hybride : nous mélangeons les genres et les disciplines. Il y a de la musique live, du burlesque, du cirque, du théâtre, de la performance engagée… L’objectif est de créer un spectacle total, qui embarque le public dans un univers à la fois féérique et percutant. S’il manque un de ces éléments, ce n’est pas La Sirène à Barbe…

Nicolas Bellenchombre : Il est vrai qu’il y a quelques années, le cabaret était vu comme un divertissement ringard. Mais cela a changé. Ce renouveau a été notamment porté par la culture queer et le mouvement drag. Des figures comme RuPaul ont contribué à remettre en lumière cet art en y insufflant modernité et audace. Aujourd’hui, le cabaret est un espace de revendication, d’expérimentation artistique et d’émancipation. Il permet de briser les normes et d’interroger le monde dans lequel nous vivons.

Cabaret La sirène à Barbe © Jean Decaux
© Jean Decaux

Nicolas Bellenchombre : Il est incroyablement varié, loin des clichés. Nous accueillons des spectateurs de tous horizons, de 7 à 97 ans, issus de toutes classes sociales et croyances. Quand Sandrina Martins, la directrice du Carreau du Temple, est venue à Dieppe, c’est d’ailleurs ce qui l’a frappée et lui a donné envie de nous inviter dans le cadre du Festival Everybody, qui questionne autant la représentation des corps que celle du genre.

La Sirène à Barbe est un lieu de rencontre, un espace de dialogue où l’on dépasse les préjugés. Un exemple marquant : un ancien harceleur de mon adolescence est venu voir un spectacle, poussé par sa compagne. À la fin, il est venu me voir et s’est excusé pour ce qu’il m’avait fait subir des années auparavant. C’est ça la magie du cabaret : un endroit où les mentalités évoluent, où les barrières tombent.

Nicolas Bellenchombre : Depuis sa création à la sortie du confinement, nous n’avons fait que grandir. Nous multiplions les tournées, explorons de nouvelles collaborations artistiques et renforçons notre engagement auprès du public. Ce qui nous anime, c’est de nous battre pour préserver l’essence même du cabaret : un art libre, populaire et accessible à tous. Aujourd’hui, nous sommes reconnus par le ministère de la Culture comme discipline artistique, et La Sirène à Barbe est citée dans leur rapport comme un exemple du renouveau du cabaret en France.

Forts de cela, nous comptons bien poursuivre cette dynamique en restant fidèles à notre identité. Chacun de nous est artiste ou a un autre métier en parallèle, mais La Sirène à Barbe nous réunit autour d’un rêve et d’un changement de paradigme sociétal, où nous combattons le repli sur soi pour plus de tolérance. Nous sommes tous curieux de voir où l’aventure nous mènera.

Rien que ce week-end, La Sirène à Barbe a le don d’ubiquité : le cabaret est ouvert à Dieppe, nous avons une date à Rouen et, bien sûr, nous jouons au Carreau du Temple. Un sacré challenge que nous sommes fiers de relever !


Cabaret La Sirène à Barbe
Festival Everybody
Le Carreau du Temple
2 rue Perrée
75003 Paris
Du 14 au 15 février 2025
Durée 1h30


La sirène à barbe
Cabaret-Bar-Cirque-Music-Hall
ouvert les vendredis et samedis
3-5 place nationale
76200 Dieppe

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