Comment êtes-vous venu à vous intéresser à l’art vivant ?
Michel Mollard : Depuis mon enfance, la musique a toujours occupé une place essentielle dans ma vie. Mais c’est il y a une dizaine d’années que je suis réellement passé à l’action en organisant une saison de concerts, notamment au Théâtre des Champs-Élysées, principalement autour de la musique classique. Mon épouse, la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei m’a permis de plonger plus avant dans cet univers. Par ailleurs, je pratique aussi cet instrument.
Pourquoi cet intérêt pour Romain Rolland ?

Michel Mollard : Aujourd’hui quelque peu oublié, Romain Rolland était l’un des intellectuels majeurs de la première moitié du XXe siècle. Sa correspondance prolixe s’étendait à des figures aussi illustres que Gandhi, Freud ou encore Stefan Zweig. Le prix Nobel de littérature lui fut décerné en 1915 « comme un hommage à l’idéalisme de sa production littéraire et à la sympathie et l’amour de la vérité avec laquelle il a décrit les différents types d’êtres humains. » C’était avant–tout un penseur passionné par mille sujets : le théâtre, la philosophie indienne, l’histoire et la musicologie, qu’il a enseignée à la Sorbonne. Et il était également un excellent pianiste. Il maîtrisait, par exemple, l’intégralité des 32 sonates de Beethoven, un exploit rare pour un écrivain de son envergure. Comment ne pas être fasciné par cet homme et sa pensée ?
Un épisode de sa vie vous a tellement marqué que vous avez décidé d’en faire le sujet d’une pièce de théâtre ?
Michel Mollard : En lisant sa biographie, j’ai découvert un épisode bouleversant de sa vie : son dernier Noël, en 1944. Il était alors à Vézelay, où il s’était retiré après son exil en Suisse dû à son pacifisme affiché. Ce soir-là, se sentant particulièrement fatigué, il demande à être descendu jusqu’à son piano. Là, il joue la Sonate op. 111 de Beethoven, puis remonte dans sa chambre. Il s’éteindra six jours plus tard.
J’ai trouvé cette scène d’une noblesse et d’une grandeur inouïes, que j’ai voulu la partager. En parallèle de cela, j’ai découvert son Journal de Vézelay, écrit entre 1938 et 1944, où il revient avec une lucidité incisive sur ses engagements, quitte à mettre en lumière toutes les contradictions dont il était fait. Ces éléments réunis m’ont convaincu d’en créer une pièce de théâtre.
Comment cette pièce a-t-elle vu le jour ?

Michel Mollard : Pour raconter cette anecdote, ce moment de vie précis, j’avais besoin de trouver un comédien habité et un pianiste capable de jouer Beethoven à un excellent niveau. J’ai eu la chance de faire la connaissance du fabuleux Pascal Amoyel, qui se glisse présentement dans la peau de Romain Rolland.
Actuellement, il donne une première série de représentations au Studio Hébertot avant d’investir le 22 février prochain le Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre d’une soirée hommage que j’organise. La trame de la pièce est simple, elle évoque les dernières heures de l’écrivain, entre musique et réflexions profondes sur la religion, la politique, le pacifisme et l’Europe. Une œuvre à la fois intime et universelle.
Vous présentez également au Studio, une autre pièce consacrée à Romain Rolland, Malwida ?
Michel Mollard : Tout a commencé par une demande de Bérengère Dautun, la directrice du Studio Hébertot, qui m’a demandé si j’avais une pièce pour elle. L’idée m’est venue grâce à un ami dissident chinois qui m’avait parlé de la correspondance entre Romain Rolland et Malwida von Meysenbug. Je connaissais vaguement cette femme, personnalité intellectuelle du XIXe siècle, proche de Wagner et de Liszt, mais je ne mesurais pas son importance. Mon ami m’a confié qu’il avait découvert ce livre dans une poubelle pendant la Révolution culturelle en Chine et qu’il l’avait conservé durant dix ans, comme un trésor qui lui avait permis de survivre.
Intrigué, j’ai plongé dans cette correspondance de 1 500 lettres et découvert un échange d’une richesse incroyable. Malwida a eu une influence déterminante sur Rolland. À la fin de sa vie, il dira même d’elle : « Cette femme m’a créé. » C’est une déclaration fascinante venant d’un écrivain de son envergure. À partir de cette matière épistolaire, j’ai écrit une pièce qui fait écho à Dernières Notes, mais qui explore cette fois les débuts d’auteur et de penseur de Romain Rolland.
Pourquoi est-il important aujourd’hui de mettre Romain Rolland à l’honneur ?
Michel Mollard : La période 1890-1940 est une époque exceptionnelle pour la littérature française, un foisonnement intellectuel et artistique incroyable. Rolland, qui était au centre du jeu il y a cent ans, est aujourd’hui méconnu alors qu’il a tant à nous dire. C’était un esprit visionnaire, d’une ouverture extraordinaire.
Il pensait le monde dans sa globalité, anticipait l’idée d’une littérature mondiale et possédait une culture encyclopédique, passionnante. Son livre sur Beethoven, par exemple, témoigne d’une compréhension intuitive de l’œuvre du compositeur. Il écrivait avec une telle profondeur qu’il semblait pénétrer l’âme même de la musique. Il avait cette capacité rare de relier les cultures et de percevoir l’essence des grandes œuvres.
Aujourd’hui, son message résonne plus que jamais. Il nous invite à penser en mouvement, à rester curieux, à évoluer sans cesse. Son mantra, extrait d’un poème de Goethe, était « Meurs et deviens. » Une philosophie qui, je crois, a encore beaucoup à nous apporter.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Hommage à Romain Rolland
soirée organisée par Pierre Mollard
Théâtre des Champs-Élysées
15 avenue Montaigne
75008 Paris
le 22 février 2025
durée 2h sans entracte
Malwida de Pierre Mollard
Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
du 7 janvier au 16 mars 2025
Mise en scène de François Michonneau
Avec Bérengère Dautun, Benoît Dugas et Ilyès Bouyenzar
Avec la voix de Jean-Claude Drouot
Costumes de Frédéric Morel