Les rues pavées, les murs chargés d’histoire et couverts d’affiches que le mistral fait voler en tout sens, Loïc Corbery les connaît bien. Avignon, où il est né, est son terrain de jeu. Chaque été, la cité des Papes se métamorphose, mettant dans les yeux de l’enfant des étoiles. « Quand tu es un gamin et que tu vois une grande fête colorée, poétique, de partage, s’installer dans ta ville pendant un mois avec des gens en costumes partout, des parades, des spectacles, ça laisse des traces. »
À huit ans, il assiste au Mahabharata de Peter Brook, un choc esthétique et sensoriel. Il est trop jeune pour en saisir toute la portée et s’endort, avoue-t-il du bout des lèvres, un peu honteux, mais garde en mémoire des images féériques qui hantent son imaginaire. « C’est ma mère qui m’avait emmené. J’étais beaucoup trop petit pour y passer la nuit. Je pense que je me suis endormi très vite, mais j’ai encore des images très précises dans la tête de ce spectacle. »
Une ascension fulgurante

À treize ans, un ami l’entraîne au Théâtre Tremplin pour y suivre un atelier amateur. L’argument est tout trouvé, irrésistible : « Il y a plein de filles. » Assez vite, son compagnon de jeu se lasse, Loïc Corbery reste. Il découvre le frisson du plateau. « Là, je ne joue pas : j’existe »
Porté par une soif insatiable de théâtre, il quitte sa Provence à dix-huit ans pour Paris et entre au cours Périmony, puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Il y rencontre ses maîtres : Stuart Seide et Jacques Lassalle. « J’ai eu la chance ensuite qu’ils m’appellent pour travailler avec eux, au Français ou ailleurs. Ce furent des compagnonnages qui ont été tellement beaux et tellement importants pour moi ».
Ses premiers engagements oscillent entre le théâtre subventionné et le théâtre privé. Il joue Aristophane sous la direction de Jean-Luc Tardieu tout en sillonnant la France avec Les Œufs de l’autruche d’André Roussin. « J’avais vingt ans. On jouait au Théâtre des Variétés, et c’est dans le foyer de ce lieu mythique parisien, que le soir après les représentations, je répétais les scènes que j’allais passer en face au Conservatoire le lendemain. C’était intense et incroyable. Je vivais pour le théâtre. »
En 2005, il entre à la Comédie-Française, repéré par Marcel Bozonnet. Son phrasé clair, son énergie nerveuse, sa silhouette de dandy romantique séduisent metteurs en scène et spectateurs.
Un comédien en mutation

Loïc Corbery n’est pourtant pas de ceux qui se laissent enfermer. Il refuse de jouer les héros lisses. Derrière le charme léger de ses rôles d’éternels jeunes amants, il cherche la cassure, la complexité. « Quand Jean-Pierre Vincent me confie Dom Juan en juin 2012 ou que Clément Hervieu-Léger me propose de me glisser dans la peau d’Alceste en avril 2014, ce ne sont pas des rôles de héros. Il faut leur insuffler une humanité trouble. Ou plus tard, se glisser dans la peau d’Hamlet est une expérience vertigineuse, comme le miroir de toutes les ambiguïtés humaines, et des miennes»
Son interprétation du prince danois dans la mise en scène de Simon Deletang en 2022, à la fois écorchée et ironique, marque les esprits. L’acteur prend goût aux personnages ambigus, aux monstres séduisants. « J’aime me servir de mon côté plutôt solaire pour dessiner des personnages qui racontent des choses plus sombre.. C’est toujours plus dangereux de rendre un « méchant »séduisant. »
Un amour viscéral du théâtre
Le plateau est son espace de liberté absolue. « Je me sens disponible et affranchi de toute contrainte sur scène, alors que devant une caméra, je peux me sentir emprunté et timide. » Ce qu’il chérit dans le théâtre, c’est le dialogue permanent avec les grands textes et la communion directe avec le public.
Malgré sa passion des mots et des planches, le comédien n’éprouve pas le besoin de mettre en scène. « Ce doit venir d’une nécessité et non d’une envie. Et puis je suis encore en formation en tant qu’acteur. »
Un artiste engagé

Derrière l’acteur passionné se cache un homme de convictions. Sans chercher la posture, il refuse de détourner le regard face aux violences du milieu artistique. Confronté aux témoignages de victimes, il prend la parole, sans détour. « J’en ai assez de rencontrer tant de femmes qui ont vécu des horreurs. »
Il soutient Judith Godrèche dans son combat contre les abus du cinéma français, refuse l’omerta, met sa voix et son nom au service de la parole des victimes. Même s’il sait que cela peut déranger, qu’un acteur du Français n’est pas censé s’engager trop frontalement, il le fait quand même.
Un avenir en mouvement
À 47 ans, Loïc Corbery continue de se réinventer. Après avoir incarné les jeunes premiers, il aborde des rôles toujours plus denses, plus troubles. « Je n’ai jamais rêvé de Hamlet, ni Dom Juan. Mais je les ai joués. Aujourd’hui, il y a des rôles que je ne pourrai plus jamais incarner. Je les regarde avec tendresse. Peut-être que j’aurais aimé être Roméo un jour. Mais ce qui m’attend est tout aussi passionnant. »
En tournée depuis juillet dernier, il aime l’idée de porter le théâtre hors de ses murs, de retrouver cette sensation brute du voyage, du plateau que l’on monte chaque soir dans un nouveau lieu. « C’est bien, quand ce que tu aimes te manque. Je serai heureux de revenir. Mais cette expérience, qui n’est pas sans rappeler la vie de troupe de l’illustre théâtre, est une chose à vivre car elle nourrit encore notre pratique. »
De Lophakine dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger à Trigorine dans Une Mouette d’Elsa Granat, le 519e société de la Comédie-Française porte haut les personnages troubles de Tchekhov. Mais ce qu’il cherche avant tout, c’est cette ivresse du jeu, ce moment où, sur scène, il disparaît derrière un personnage. Et pourtant, jamais il n’est aussi lui même, ni aussi vivant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Cerisaie d’Anton Tchekhov
Spectacle créé en novembre 2021 à La Comédie-Française
Reprise
21 février au 1er juin 2025 à La Comédie-Française
Durée 2h20 environ
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Avec à la création Michel Favory Véronique Vella en alternance avec Julie Sicard, Éric Génovèse,, Florence Viala, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Julien Frison
et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française – Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan
Traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan
Scénographie d’Aurélie Maestre
Costumes de Caroline de Vivaise assistée de Claire Fayel
Lumière de Bertrand Couderc
Musique originale de Pascal Sangla
Son de Jean-Luc Ristord
Travail chorégraphique de Bruno Bouché
Collaboration artistique – Aurélien Hamard-Padis
Une mouette d’après Anton Tchekhov
La Comédie-Française
Place Colette
75001 Paris
11 avril au 15 juillet 2024
adaptation et mise en scène Elsa Granat
traduction André Markowicz et Françoise Morvan
avec Julie Sicard, Loïc Corbery, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Julien Frison, Marina Hands, Birane Ba, Dominique Parent et les académiciens de la Comédie -Française Édouard Blaimont & Blanche Sottou
Dramaturgie de Laure Grisinger
Scénographie de Suzanne Barbaud
Costumes de Marion Moinet
Lumières de Vera Martins
Son de John M. Warts
Assistanat à la mise en scène – Laurence Kélépikis
et de l’académie de la Comédie-Française : Assistanat à la mise en scène : Aristeo Tordesillas, Assistanat à la scénographie : Anaïs Levieil, Assistanat aux costumes : Aurélia Bonaque Ferrat
Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues d’après l’œuvre d’Euripide
spectacle crée le 30 juin 2024 à la Carrière de Boulbon dans le cadre du Festival d’Avignon
Durée 2h
Tournée
28 mai au 25 juillet 2025 à la Comédie-Française, Paris, France
Dates passées
26 et 27 juillet 20224 à Épidaure festival d’athènes et d’épidaure, Gréce
15 au 23 novembre 2024 au ThéâtredelaCité, Toulouse, France
28 novembre au 1er décembre 2024 à la Comédie de Genève, Suisse
06 et 07 décembre 2024 à l’Anthéa d’Antibes, France
03 au 05 janvier 2025 au Teatros del canal, Madrid, Espagne
09 au 11 janvier 2025 au Centre culturel de Belem, Lisbonne, Portugal
17 et 18 janvier 2025 au Anvers desingel, Belgique
23 au 25 janvier 2025 aux théâtres de la ville de Luxembourg
29 et 30 janvier 2025 à La Coursive, La Rochelle, France
mise en scène de Tiago Rodrigues
Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi
Traduction de Thomas Resendes
Scénographie de Fernando Ribeiro
Costumes de José António Tenente
Lumière de Rui Monteiro
Musique et son de Pedro Costa
Collaboration artistique – Sophie Bricaire