Samedi 25 janvier, après avoir traversé les beaux paysages normands, nous débarquons à Caen prêts à vivre une longue et belle aventure théâtrale d’une durée de 6h45. Le Ciel, la Nuit et la Fête, ce sont trois pièces de Molière jouées à la suite, une animation radiophonique et deux entractes, menés de main de maître par la troupe du Nouveau Théâtre Populaire.
« Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin » (Jean Vilar)
Près de six cents personnes, de tous âges et de toutes les classes sociales, étaient prêts à suivre ce marathon. Tels des randonneurs, ils s’étaient préparés. Certains avaient dans leurs sacs victuailles et boissons, les autres, en majorité, avaient réservé des tickets qui leur donnaient le droit à un goûter entre Tartuffe et Dom Juan, et à un dîner avant Psyché. L’ambiance était assurément à la fête comme à la grande époque du Théâtre National Populaire de Jean Vilar et de la Décentralisation. Le titre choisi pour la trilogie Molière vient d’une citation de ce grand metteur en scène qui définissait le Festival d’Avignon ainsi : « Le ciel, la nuit, le peuple, le texte, la fête ».
La troupe avant tout
En quelques mots, le Nouveau Théâtre Populaire est une troupe de vingt-et-un membres qui rappellent avant chacun de leurs spectacles leur manifeste : ils expliquent en neuf points leur fonctionnement basé sur le collectif. Ils présentent toujours plusieurs pièces mises en scène par différents membres de la troupe qui mettent tous la main à la pâte. Chaque pièce est répétée en dix-sept jours. Au vu de la qualité du travail présenté, nous sommes admiratifs.
Pour les trois Molière, un fil conducteur : la foi. L’intégrisme religieux (Tartuffe), le blasphème (Dom Juan) et le dieu Amour sauvant l’humain (Psyché). Trois metteurs en scène, un décor qui rappelle l’esprit du théâtre de tréteaux, des costumes différents selon les pièces et les mêmes comédiennes et comédiens. Ce qui leur permet d’aborder plusieurs emplois, passer d’un rôle principal à un secondaire, du tragique au comique et de montrer l’étendue de leur talent.
Grand Siècle radio
C’est une sorte de Pop Club, non pas mené par José Artur, mais par Frédéric Jessua qui reçoit les artistes de la trilogie autour d’un programme basé sur le siècle de Molière. Des invités de marques comme le cardinal Mazarin ou un Candide choisi dans la salle passent par là. Les premiers à être interviewés sont bien évidemment les metteurs en scène, Léo Cohen-Paperman (Tartuffe), Émilien Diard-Detœuf (Dom Juan) et Julien Romelard (Psyché). Ils sont impayables dans leur numéro de « metteur en scène » attaquant l’autre, lui reprochant d’avoir utilisé tous les sous, de faire n’importe quoi, etc. Ces intermèdes qui servent à introduire chaque pièce sont de magnifiques petits morceaux d’anthologies pleins de fantaisie et d’esprit.
Le ciel : Un Tartuffe impressionnant
Des trois versions de la pièce, Léo Cohen-Paperman a choisi celle de 1667, sous-titrée L’Imposteur, qui fait intervenir la figure du Roi comme l’exécuteur humain de la Justice divine. Le metteur en scène, très inspiré, lui a surtout redonné le ton de la comédie.
Le public est installé en bifrontal, côté scène sur des gradins, côtes salle sur des fauteuils. Il entoure ainsi l’aire de jeu, un grand couloir entre deux portes où se trouve en son milieu la fameuse table ! On est vraiment au centre de l’action, qui commence par une longue séance de prière que Madame Pernelle (impayable Lazare Herson-Macarel) impose à la famille, domestique compris. Tout le monde est vêtu du noir austère des dévots de l’époque ! Le texte coule à merveille et l’intrigue en ressort dans toute sa noirceur, celle de l’aveuglement et de l’entêtement d’un homme, Orgon (magnifique Éric Herson-Macarel). Quant à Tartuffe (formidable Julien Campani), qui n’arrive qu’au troisième acte, il est retors à souhait. C’est une des meilleures versions de ces dernières années.
La nuit : Un Dom Juan remarquable
Après la morale du Tartuffe place au libertinage et au rejet des valeurs. Comme ne cesse de le clamer Sganarelle (admirable Valentin Boraud) : « Tu vois en mon maître le plus grand scélérat que la terre n’ait jamais porté ». Dom Juan (redoutable Lazare Herson-Macarel), cet enfant gâté qui n’en fait qu’à sa tête, abusant les femmes, Elvire (impeccable Pauline Bolcatto), Mathurine et Charlotte (impayable Claire Sermone et Morgane Nairaud), se moquant de l’autorité paternelle (Frédéric Jessua) et, par la figure du Commandeur, de la mort (Éric Herson-Macarel).
En lui rendant ce ton de comédie grinçante, Émilien Diard-Detœuf signe une mise en scène très enlevée de ce drame. Les gradins qui avaient servi à recevoir le public sont transformés en un surprenant élément de décor en haut duquel se trouve perchée une des portes du Tartuffe, représentant celle de l’enfer. Les costumes sont contemporains, costume trois-pièces pour Sganarelle et habits de fêtards pour Dom Juan ! Très finaud, le metteur en scène s’amuse avec le final, qu’il montre comme une apothéose ! Dom Juan aurait-il gagné ? On craint de ne pas entendre la fameuse tirade des gages… Mais non, la mort est là et Sganarelle se retrouve seul à pleurer ! C’est magnifique.
La fête : Un cabaret Psyché-idéique
Si les deux premières pièces sont des grands classiques, Psyché est une curiosité. Ce mot sied à merveille à cette comédie-ballet ! À l’époque de Louis XIV, il fallait bien amuser la galerie ! Molière n’y est pas allé de main morte. Il y a des alexandrins, des octosyllabes et même des décasyllabes, du chant, de la danse, de la musique, des costumes à foison pour 350 interprètes ! Et oui, on ne se refusait rien alors.
La pièce est une histoire dans laquelle les dieux de l’Olympe, surtout Vénus (démoniaque Claire Sermone), déesse de la beauté, son fils Amour (ineffable Julien Romelard), en ont après une mortelle, la trop belle Psyché (épatante Morgane Nairaud). Cette intrigue totalement abracadabrante permet au metteur en scène Julien Romelard de dispenser toute sa fantaisie dans un fourre-tout splendide où règne une atmosphère de cabaret et la soirée se termine par une grande fête dionysiaque !
Après cette longue traversée, les courbatures sont là, mais il y a essentiellement ce plaisir d’avoir tenu bon et d’avoir profité pleinement de cette magnifique contrée artistique. Certains spectateurs caennais ayant pris goût à l’exercice étaient partants pour reprendre le samedi suivant la route avec la trilogie Balzac, Notre Comédie humaine. Qui a dit que le théâtre n’était pas essentiel ?
Marie-Céline Nivière, envoyée spéciale à Caen
Le Ciel, la terre et la Fête du Nouveau Théâtre Populaire
Le Tartuffe – Dom Juan – Psyché de Molière.
Vu le 25 janvier 2025 au Théâtre de Caen.
Durée intégrale 6h45 avec deux entractes
La Commune – CDN d’Aubervilliers.
5 février 2025 : Le Tartuffe
6 février 2025 : Dom Juan
7 février 2025 : Psyché
8 février 2025 : Le Ciel, la nuit et la fête (intégrale).
Mise en scène de Léo Cohen-Paperman (Le Tartuffe), Émilien Diard-Detœuf (Dom Juan), Julien Romelard (Psyché).
Grand Siècle (radio) : conception et mise en scène Frédéric Jessua.
Avec Marco Benigno, Pauline Bolcatto, Valentin Boraud, Julien Campani, Philippe Canales, Léo Cohen-Paperman, Émilien Diard-Detœuf, Clovis Fouin, Joseph Fourez, Elsa Grzeszczak, Éric Herson-Macarel, Lazare Herson-Macarel, Frédéric Jessua, Morgane Nairaud (remplacée à la Commune par Camille Bernon), Julien Romelard, Claire Sermonne, Sacha Todorov.
Scénographique d’Anne-Sophie Grac.
Collaboration scénographie et accessoires Pierre Lebon.
Lumière de Thomas Chrétien.
Costumes de Zoé Lenglare et Manon Naudet.
Musique de Bravo Baptiste.
Son Lucas Lelièvre assisté de Baudouin Rencurel.
Régie générale Marco Benigno assisté de Thomas Mousseau-Fernandez.
Maquillage et coiffure : Pauline Bry-Martin.
Collaboration artistique Lola Lucas.