Dans le foyer bruyant du théâtre de l’Aquarium, un trublion survolté fait son apparition. Tel un feu follet, il court partout, saute sur les tables et harangue le public. Les spectateurs ne sont pas encore installés dans la salle que le spectacle a déjà commencé. Le ton est donné, irrévérencieux, caustique et profondément passionné.
Totalitarisme théâtral
Sylvain rêve d’être comédien. Avec son meilleur pote Lionel, un mec baraqué à l’accent du sud, il erre de théâtre en théâtre. Un soir aux Bouffes du Nord, ils prennent des places pour Requiem de Vincent (Macaigne). N’ayant que peu de sous vaillants, ils sont au paradis. Penché presque à tomber, le premier est comme hypnotisé. Le second, plus gouailleur, s’amuse de la situation. Comme foudroyé, Sylvain Sounier dit « Sacrifice » veut connaître cette expérience totale du plateau. Cela tombe bien, le metteur en scène, fait passer une audition pour le rôle d’Ophélie dans sa prochaine création qui s’inspire du Hamlet de Shakespeare. Comme il ne fait rien comme tout le monde, il convie acteurs et actrices au casting.
Il n’y a qu’une place. Sylvain, par désistement de son ami, sera Hamlet jusqu’à l’épuisement. Avec humour, le comédien décrit par le menu l’expérience « Vincent », violente, totale autant qu’inouïe. Il y met ses tripes et même sa santé en jeu. Mais c le détour en valait la peine. Jamais méchant, un brin ironique et avec une certaine tendresse, il raconte et redonne vie ce spectacle, Au moins j’aurais laissé un beau cadavre, qui a fait les beaux jours du Festival d’Avignon en 2011 et évoque sa passion, ses désirs, ses frustrations et sa propre aliénation.
Du sublime au grotesque
Il faut croire qu’il a une détonante étoile dans son karma. Apaisé, il tombe dans les rets d’un autre grand metteur en scène du théâtre contemporain. Ils ont le même prénom, la même soif du plateau et de l’expérience radicale. D’une folie à l’autre, il part quinze mois en résidence au fin fond de la Lozère. À la violence du premier répond le désir de totalitarisme du second. Sylvain le comédien se frotte à une autre folie, celle de Sylvain (Creuzevault). Les doutes l’assaillent jusqu’à une crise d’angoisse qui le prend en pleine représentation.
Passant d’un état à l’autre, du sublime au grotesque, Sylvain Sounier trace sa route et transforme sa vie de saltimbanque en une fresque démesurée, humaine et hypnotisante. La dent un peu dure, mais jamais méchante, il rend hommage à ses idoles, à ses icônes et au théâtre. Accompagné au plateau de son grand ami Maxime Kerzanet, grand dadais à la voix joliment fêlée, envoûtante, il joue sur tous les registres. Tragi-comédien sublime, il embarque une salle comble dans sa tête. Cela fait du monde et du bruit.
D’une revisite troublante des Paradis perdus de Christophe aux airs pop électro créés pour l’occasion, Sylvain Sounier réinvente autant qu’il revisite la scène contemporaine, une lampe frontale par-là, de l’hémoglobine à profusion et des postiches par-ci, et c’est Chéreau, Macaigne et Creuzevault qui tels des spectres rhabillent le plateau. C’est beau, c’est moche, c’est tout simplement jubilatoire et captivant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
J’ai dans la tête un sac qui frappe de Sylvain Sounier
Festival BruitThéâtre de l’Aquarium
2 route du champ de manœuvre
75012 Paris
31 janvier et 1er février 2025
durée 1h25
Mise en scène et jeu – Sylvain Sounier et Maxime Kerzanet
Scénographie d’Amélie Vignals
Maquillages – Mityl Brimeur
Création lumière de Gaëtan Veber
Régie lumière – Hugo Dragone
Costumes de Jennifer Minard
Musique de Maxime Kerzanet
Son de Pierre Routin
