Dans le hall du théâtre, c’est l’heure du déjeuner. Techniciens, artistes et personnels administratifs sont attablés, partageant un repas. Les discussions vont bon train. Depuis hier, toute l’équipe artistique est réunie sur scène pour la dernière ligne droite avant la création, prévue le 27 février prochain. Passionnée de littérature fantastique, Émilie Capliez s’intéresse à l’œuvre de Jules Verne notamment pour interroger son héritage.
Un auteur à succès
« Que reste-t-il aujourd’hui de ses écrits ? Son nom est connu de tous, mais nombreux sont ceux qui pensent l’avoir lu sans l’avoir fait, tant ses textes font partie de l’inconscient collectif. Certains sont tombés dans un semi-oubli injustement. C’est le cas du Château des Carpathes. En le relisant, j’ai été frappée par la créativité dont il regorge, par sa dimension à la fois romantique et sombre. Invitant à un voyage au cœur de la Transylvanie, celle où plane l’ombre du comte Dracula, Jules Verne plonge le lecteur dans une ambiance digne des romans noirs et gothiques que j’ai toujours adorés. »
Autant d’éléments qui ont donné envie à la metteuse en scène, en quête d’une œuvre tout public, de l’adapter, même si cela représentait un véritable défi scénique. « Pour retranscrire l’univers mystérieux du roman, il était important d’intégrer des éléments visuels forts comme de la vidéo et, bien évidemment, de la musique jouée en direct. Le roman relate l’histoire d’un mélomane obsédé par la voix d’une cantatrice disparue. »
Une auberge, un château, un opéra…
Sur le plateau, autour d’une table, trois comédiens – François Charron, Rayan Ouertani, tous deux membres de la jeune troupe #4, et Jean-Baptiste Verquin -, une comédienne – Fatou Malsert – et un trompettiste – Oscar Viret – écoutent les dernières recommandations de la metteuse en scène. La répétition se poursuit. Émilie Capliez reprend sa place d’observation dans la salle.
À ce moment de l’intrigue, un comte roumain visite avec un ami les Carpathes. La nuit arrivant, ils se réfugient dans une auberge où ils sont accueillis par l’hôtesse des lieux, le maire du village et un musicien. Une fois les présentations faites, la discussion est alimentée par les secrets des uns et les mystères qui entourent le vieux château abandonné surplombant l’établissement.
« Adapter Jules Verne est quelque chose de vertigineux. Quand on a commencé à travailler avec Airelle Besson, qui compose la musique originale du spectacle, j’ai tenu à conserver la trame fictionnelle intacte. Elle a tout ce qu’il faut de rocambolesque et d’énigmatique. Par contre, il me semblait nécessaire de l’ancrer davantage dans le dialogue et le présent pour le rendre plus actuel, presque intemporel. »
Titiller l’imaginaire
Interrompu régulièrement par des réglages techniques nécessaires, que ce soit au niveau du son ou des lumières, le récit file. Les fantômes du passé viennent hanter nos protagonistes. Toujours en alerte, un pied sur la scène, l’autre dans les gradins, la metteuse en scène veille à conjuguer jeu et musique, pour que les interprétations des acteurs et des musiciens se répondent et alimentent l’imaginaire du spectateur.
Jouant sur un décor extrêmement mobile, fait de quelques éléments qui suggèrent plus qu’ils ne montrent, elle construit au fil de la pièce un véritable « théâtre d’images ».« Il était crucial de travailler tout ce qui relève des effets scéniques pour plonger le public au plus près de l’écriture de Jules Verne et de son univers tant baroque que fantasmagorique. »
Un dialogue étroit entre texte et musique
Les scènes s’enchaînent, dévoilant de nouveaux tableaux, tous plus poétiques et inventifs les uns que les autres. Instrumentistes et comédiens évoluent dans un espace à deux étages, rappelant les tribunes des musiciens des siècles passés. Tantôt dans une alcôve, un escalier ou une rue, les personnages prennent vie au son d’une calèche ou du brouhaha de la foule. « L’histoire évoque la fin du XIXe siècle, mais je voulais que les situations résonnent avec notre époque. J’ai donc pris quelques libertés avec le texte pour donner notamment aux personnages féminins plus de densité. »
Trompettiste de jazz, Airelle Besson n’est jamais loin du plateau et d’Émilie Capliez. Elle veille à ce que le tempo et l’intensité soient tenus tout au long de cette première rencontre entre la musique jouée en direct et le jeu des comédiens. « Nous avons travaillé en étroite collaboration pour faire naître un dialogue fort entre la dramaturgie théâtrale et la dramaturgie musicale. »
L’ambiance est au beau fixe. L’humour est de rigueur sur le plateau. L’aventure, dont nous n’avons aperçu que quelques bribes, promet d’être passionnante et pleine de surprises, pour le plus grand plaisir du public.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Colmar
Le Château des Carpathes d’après Jules Verne
Comédie de Colmar
6 route d’Ingersheim
68000 Colmar
Du 27 février au 8 mars 2025
Durée estimée 1h30
Mise en scène d’Émilie Capliez
Avec François Charron*, Emma Liégeois, Fatou Malsert, Rayan Ouertani*, Jean-Baptiste Verquin, Julien Lallier (piano), Adèle Viret (violoncelle), Oscar Viret (trompette)
Composition musicale d’Airelle Besson
Adaptation d’Émilie Capliez en collaboration avec Agathe Peyrard
Scénographie d’Alban Ho Van
Lumière de Kelig Le Bars
Vidéo de Pierre Martin Oriol
Création son d’Hugo Hamman
Costumes de Pauline Kieffer
Dramaturgie musicale et assistanat à la mise en scène – Solène Souriau
* membres de la jeune troupe #4
