Vêtue comme une adolescente des années 1990, Olivia Csiky Trnka raconte ses premiers mois en Suisse, ses années de collège. Née en 1980 à Bratislava (Slovaquie), elle découvre rapidement qu’elle n’est pas comme les autres enfants. Ses origines la placent immédiatement parmi les « différents ». Elle ne fait pas partie des meneurs, mais plutôt des souffre-douleurs et des exclus. De cette expérience, elle garde une rage profonde contre la loi du plus fort. Issue de plusieurs minorités, elle rêve d’une société où les dominants reconnaîtraient enfin leur responsabilité dans les dérives du monde.
Le nucléaire comme exemple
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S’appuyant sur les principes et les lois de la physique nucléaire, qu’elle perçoit comme notre tragédie contemporaine, la danseuse, chorégraphe et metteuse en scène tisse une histoire singulière. Jouant des clichés et détournant les codes d’un militantisme extrémiste, elle imagine un féminisme audacieux, qui n’a clairement pas froid aux yeux. À l’image d’atomes en fusion, ses deux interprètes transforment leur colère sourde en une énergie explosive, prête à en découdre avec toute opposition.
Prenant le parti d’atomiser les préjugés et de ranger au placard toute idée « réac », forcément sexiste et machiste, Olivia Csiky Trnka signe une performance déjantée et jusqu’au-boutiste. Plus le récit avance, plus la réalité vrille. Une aliénation salvatrice prend le pas sur tout le reste, quitte à déstabiliser fortement le public. Certains rient et se laissent emporter par cette folle embardée où gestes et cris s’hystérisent jusqu’à l’excès. D’autres, en état de sidération, vacillent jusqu’au malaise.
« À force d’empêcher toute révolution, on fait face à un bras armé »
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La mise en scène, qui peut paraître un brin brouillonne, fait le choix assumé de la fureur démesurée. À juste titre, Olivia Csiky Trnka estime qu’il n’est plus temps de faire des compromis : trop de femmes sont agressées sexuellement sans conséquence pour leur violeur. Trop de clichés racistes sont véhiculés masquant la réalité. Les criminels ne sont pas ceux que l’on croît ; dans leur grande majorité, ce sont des proches des victimes : des parents, des collègues, des voisins.
La lutte a un prix, tout comme le changement de paradigme. À l’image de réacteurs nucléaires au bord de l’explosion, les trois artistes font feu de tout bois. Elles hurlent, gesticulent dans tous les sens et se jettent au sol, dépassant toute limite, toute décence – Un art clairement où les artistes de la nouvelle scène suisse excellent. Elles préparent ainsi l’uppercut final, qui confronte chacun à la brutalité des chiffres : statistiquement, dans la salle, il y a des agresseurs et des agressés.
Mais — et toute la question est là — fallait-il pour arriver à ce terrible et glaçant constat une telle outrance scénique ?
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Genève
Cœur colère d’Olivia Csiky Trnka
Spectacle créé le 21 janvier 2025, à La Grange – Centre / Arts et Sciences | UNIL
Festival Antigel
Centre des Arts – École internationale de Genève
Rue Marie-Thérèse-Maurette 7
1208 Ville de Genève
du 18 au 20 février 2025
durée 1h15 environ
Conception, écriture, scénographie et jeu – Olivia Csiky Trnka
Avec Valérie Liengme et Luna Desmeules
Dramaturgie et assistanat – Roberta Alberico
Lumières et scénographie d’Alessandra Dominguez
Vidéo de Sven Kreter
Musique de Rémy Rufer
Oeil extérieur – Adina Secrétan