Caché au fond d’une cour de la rue de Turenne, le MAIF Social Club est un lieu à part, un écrin, où chaque exposition réinvente l’espace, ouvrant des fenêtres sur des mondes insoupçonnés. Avec Chaosmos – un mot-valise emprunté à James Joyce qui fusionne chaos et cosmos –, le visiteur est plongé dans une expérience sensorielle où les œuvres se répondent, se confrontent, s’entrelacent ou se heurtent, créant une polyphonie visuelle et intellectuelle.
Un parcours libre et fluide

Conçue par Jos Auzende, à l’invitation de Florent Héridel, directeur artistique du lieu, l’exposition réunit douze artistes internationaux. Ensemble, ils explorent un monde en mutation, où l’humanité, face aux défis environnementaux et sociétaux, doit sans cesse se réinventer pour préserver un équilibre fragile.
Lucie Gautrain signe une scénographie ouverte, sans parcours imposé. Ici, point de hiérarchie ni de direction stricte : chaque visiteur est libre d’évoluer à son gré. Une carte est proposée à l’entrée, mais c’est surtout l’instinct qui guide les pas, au fil d’un kaléidoscope artistique aux multiples dimensions.
Des îles de briques et des montagnes d’illusion
Dès l’entrée, le regard est happé par les structures ocre de Vincent Mauger, qui emplissent une large partie de l’espace. Ses îles pétrifiées en briques alvéolaires, sculptées à la tronçonneuse, évoquent à la fois des ruines futuristes et des alvéoles de ruche organiques. Posées comme des repères, elles deviennent des archipels qui évoquent un monde accidenté et toujours en mouvement.
En contrepoint, Materia Prima de Justine Bougerol intrigue par son minimalisme éclatant. Une montagne miniature aux couleurs des neiges éternelles se révèle trompeuse. En s’approchant, on plonge dans un abîme d’illusions où l’œil perd ses repères. Vertige assuré.
L’instabilité du monde capturée dans une bulle
Arthur Hoffner, lauréat du prix MAIF pour la sculpture 2023, offre un instant de pure poésie avec sa machine à bulles. Inlassablement, elle façonne des sphères évanescentes, qui flottent, s’accumulent dans une vasque, avant d’éclater et de disparaître. Un ballet fragile, comme une métaphore saisissante de l’instabilité du monde.

Face à cette danse délicate, Félix Blume immerge le visiteur dans une cacophonie vibrante : un essaim de 250 enceintes miniatures diffuse un bourdonnement continu, rappelant le vrombissement d’une ruche. Une expérience sensorielle troublante qui souligne la fragilité de nos écosystèmes et l’importance de chaque être vivant.
Entre spiritualité, artisanat et incongruité
L’art du tissage, élément récurrent des expositions du MAIF Social Club, prend ici une dimension mystique. Tabita Rezaire, artiste franco-guyano-danoise, propose de renouer avec les divinités ancestrales à travers des broderies circulaires, interrogeant notre lien au cosmos et notre besoin de sacré dans un monde en crise.
À quelques pas, Masami, artiste japonaise installée à La Réunion, suspend un immense voile de cuivre tissé qui évoque la Voie lactée autant qu’un majestueux manteau cérémoniel à l’aura quasi mystique.
Attention, surprise ! Virginie Yassef brise l’austérité du propos avec une araignée géante, noire et malicieuse, qui semble tout droit sortie de la saga Harry Potter ou de quelques autres films fantastiques. Ses mouvements imperceptibles et ses yeux qui roulent sur eux-mêmes déroutent, amusent, loin de toute intellectualisation excessive, offrant une respiration bienvenue au cœur de cette odyssée philosophique.
Un cosmos réinventé, un avenir en suspens
Les dernières installations plongent dans une réflexion plus politique. Nolan Oswald Dennis déconstruit les constellations classiques pour en inventer de nouvelles, inspirées des luttes de libération.

De leur côté, les Kongo Astronauts, collectif basé à Kinshasa, proposent une vision afro-futuriste où la conquête spatiale ne serait plus le monopole occidental. Une combinaison de cosmonaute, faite de déchets électroniques occidentaux fabriqués à partir de matières premières africaines, pose une question essentielle : à qui appartient l’espace ?
Enfin, Véronique Béland clôt l’expérience avec une météorite sculptée, capable d’interagir avec notre énergie. En posant la main sur son socle, un haïku métaphysique s’affiche, offrant un ultime moment de réflexion poétique.
Un souffle d’espoir dans la tempête
Au premier regard, Chaosmos peut sembler chaotique, mais à mesure que l’on se laisse porter par le parcours, une harmonie sous-jacente émerge. Oui, le monde vacille. Oui, la crise écologique, politique et sociale est omniprésente. Mais ici, le désordre devient un point de départ, une invitation à réinventer notre place et à écouter le vivant.
Dans cette traversée singulière entre paradis et enfer, l’exposition ouvre des perspectives insoupçonnées et, contre toute attente, ravive l’espoir : et si, malgré tout, un avenir restait possible ?
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Chaosmos : atterrir, s’enraciner
MAIF Social Club
37 rue de Turenne
75003 Paris
du 8 février au 26 juillet 2025