SMOKE de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt
SMOKE de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt

Antigel : Le festival qui décongèle l’art vivant

La manifestation, qui s'est imposée comme l'événement culturel incontournable de Genève annonçant la fin de l'hiver, fête ses quinze ans. Pour l'occasion, elle revient à l'essentiel : investir des lieux insolites et démocratiser l'art vivant en proposant plus d'une centaine de spectacles, concerts et performances sur tout le territoire.

La scène artistique contemporaine suisse et internationale s’affiche dans toute la ville de Genève et ses alentours aux couleurs de l’édition 2025 du Festival Antigel : rose et bleu. Soirées électro au Grand Central, impromptus performatifs, opéras revisités, moments de détente, concerts de Philip Glass ou de Peter Doherty… Toute la cité vibre trois semaines durant au rythme d’événements explorant les limites du corps et de l’esprit. Il y en a pour tous les goûts. Il suffit de se laisser porter et découvrir un art plus vivant que jamais.

Corps sonores de Massimo Fusco © Morgane Ahrach
Corps sonores de Massimo Fusco © Morgane Ahrach

Depuis plus de quatre ans, l’artiste franco-italien Massimo Fusco parcourt de nombreux festivals. De lieu en lieu, il propose avec Corps sonores une expérience immersive, où chacun peut lâcher prise avec son quotidien. Au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, les spectateurs – en nombre réduit pour que chacun profite de ce moment suspendu – sont conviés à s’installer à même le sol, à se lover contre les cailloux de tissu imaginés par SMARIN, formant un cercle de pierres aux airs mystiques et énergisants.

Dans une ambiance zen, des sons rappelant la nature enveloppent l’espace scénique. Lentement, l’esprit vagabonde, les yeux se ferment. Seuls les récits qui s’échappent des casques audio rattachent les pensées des festivaliers à une réalité, un quotidien à peine palpable, presque lointain. Tournant, virevoltant, dansant autour des corps allongés qui se détendent imperceptiblement au fil du temps, Massimo Fusco propose des massages.

Avec une rare acuité, il ressent les maux de chacun, s’attarde sur une jambe lourde, un estomac barbouillé, un cou tendu. Une chaleur presque surhumaine se dégage de lui, telle une aura mystique. Flottant loin de la morosité, les quelques privilégiés émergent doucement de cette installation sonore, prêts à affronter, relaxés, le reste de la journée.

SMOKE de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt
SMOKE de Philippe Saire © Philippe Weissbrodt

Créé à l’automne dernier au Théâtre Sévelin 36, qu’il a longtemps dirigé et dont il est artiste en résidence permanente, SMOKE de Philippe Saire est une invitation à la rêverie. Entre surréalisme et fantasmagorie, il confronte dans un ballet quasi mystique l’évanescence de la fumée à la réalité d’un corps, celui du danseur David Zagari.

Comme prisonnier d’un espace scénique que deux murs noirs en V délimitent, le performeur apparaît en costume de lapin. Image absurde autant que poétique, elle compose une partie fragmentaire du travail de l’artiste suisse qui explore la matérialité et l’immatérialité, offrant une réflexion sur la présence et l’absence, le tangible et l’insaisissable. Autant œuvre plastique que chorégraphie, cette courte pièce, qui appartient à la série de ses Dispositifs (le septième), joue avec un matériau mouvant qu’une machinerie aussi dingue qu’ingénieuse permet de maîtriser avec maestria.

Inventif, fugace, follement imaginatif, SMOKE, présenté du 19 au 21 février 2025 aux Scènes du Grütli, creuse la veine très « arty » d’un savant jeu d’impression et de surimpression. Habitée par la présence ténébreuse de David Zagari, dont la danse désarticulée semble tiraillée entre le choix de paraître ou disparaître, la performance laisse une impression suspendue entre beauté sidérante et réflexion métaphysique inachevée.

Los dias afuera de Lola Arias © FR
Los Dias afuera de Lola Arias © FR

Présentée au Festival d’Avignon puis en tournée en Europe avant d’atterrir à la Comédie de GenèveLos días afuera de la metteuse en scène argentine Lola Arias donne la parole à six ex-détenues cis et trans. Sur scène, elles racontent leurs vies cabossées, leur séjour en prison et leurs aspirations pour l’avenir. Mêlant récits personnels, chants et danses, cette comédie musicale très années 1980 touche à l’essence même de ces êtres en pleine réflexion sur leur place dans une société qui les maintient à la marge.

Dans un décor évoquant les faubourgs de Buenos Aires, la performance, aux accents très almodovariens, se transforme en une célébration de la liberté retrouvée. Si l’on peut regretter une mise en scène trop sage, elle n’en est pas moins efficace. La fête vient de l’intérieur, de ces corps qui ne demandent qu’à exister dans toute leur pluralité, sans jugement ni tabou !

Dans une salle plongée dans l’obscurité, ici le boulodrome de Carouge, le batteur Clément Grin et la performeuse Mélissa Guex offrent une expérience sensorielle intense. Le public est entraîné dans une danse percussive où le corps et la musique ne font plus qu’un. Pas question de rester passif : la danseuse invite chacun à participer à cette bacchanale techno. 

Et pour ceux qui n’auraient pas assez bougé, direction le Grand Central pour danser jusqu’au bout de la nuit. Ça moove en Suisse !


Festival Antigel
du 6 février au 1er mars 2025 

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