Anne Kessler © Stéphane Lavoué
Anne Kessler © Stéphane Lavoué

Anne Kessler : « Au théâtre, jouer c’est dire de manière très simple qui on souhaite incarner » 

Au théâtre de la Concorde, la sociétaire honoraire de la Comédie-Française reprend Ex-traits de femmes, son seul en scène autour des personnages féminins de Molière. Rencontre. 

Anne KesslerCe spectacle est né grâce à Molière. Il y a trois ans, la Comédie-Française a souhaité consacrer six mois de sa programmation à l’œuvre du dramaturge à l’occasion des 400 ans de sa naissance. J’ai rapidement eu envie de m’inscrire dans ce projet en imaginant l’histoire d’une enfant qui grandit et vieillit au fil de ses pièces.

Ex-traits de femmes d'Anne Kessler d'après Molière © Christophe Raynaud de Lage, Coll. Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage, Coll. Comédie-Française

Au départ, ce n’était qu’une idée abstraite, puis j’ai construit un récit en m’appuyant sur des dessins que j’ai réalisés en relisant les textes. Tout s’est fait de manière très naturelle, car, au fond, c’est toujours la même voix qui s’exprime : celle de Molière. Il est le fil conducteur de toutes ces femmes, tissant le récit à la manière d’un travelling cinématographique.

Anne Kessler : Vous souvenez-vous du clip Black or White de Michael Jackson ? Il utilisait la technique du morphing pour faire passer un visage à un autre. Cette image m’a toujours fascinée, car elle donne une sensation de multiplicité des personnages. Je me suis inspirée de cet effet pour Ex-traits de femmes.

L’idée est simple : au théâtre, si je dis que je suis un chien, alors le public l’accepte. J’ai toujours pensé que jouer, c’est affirmer de manière très simple qui l’on souhaite incarner. Il suffit que j’en sois convaincue pour que les spectateurs le soient aussi. Plus on est simple, plus l’incarnation est forte et vivante sur scène.

Anne Kessler : J’ai choisi des « tubes », des personnages que je n’avais jamais joués sur scène, ainsi que des extraits d’œuvres que je rêve de monter. C’est un mélange de désir et de passion. Certaines pièces, comme Dom Juan ou Le Misanthrope, font partie de mes envies. En intégrant des extraits de ces textes, c’est une façon pour moi de les explorer et de m’en approcher.

Ex-traits de femmes, Anne Kessler ©C. Raynaud de Lage, coll. CF
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Anne Kessler : La question n’est pas là. Prenons un exemple : si c’est vous qui dites « Le petit chat est mort », votre manière de le dire sera unique. Personne d’autre ne l’aura prononcé ainsi. Inventer ou réinventer, c’est avant tout être présent. L’essentiel est de rester naturel.

Anne Kessler : Je me permets de le penser. Beaucoup de ses personnages féminins sont d’une intelligence et d’un héroïsme qui les placent souvent au-dessus des hommes. Certes, Molière a aussi décrit des femmes détestables, comme Béline dans Le Malade imaginaire ou Madame Pernelle dans Tartuffe, mais ses héroïnes sont généralement lumineuses, vibrantes et puissamment vivantes.

Anne Kessler : Absolument. Ce phénomène sera encore plus marqué chez Marivaux. Chez Molière, les servantes surpassent leurs maîtres. Et que dire d’Elmire dans Tartuffe ? C’est une femme admirable.

Je me suis aussi penchée sur Les Femmes savantes, et j’ai réalisé à quel point elles sont souvent ridiculisées. Mais au-delà de leur côté pédant, elles sont touchantes et troublantes. Regardez Virginia Woolf : de son vivant, elle était moquée pour son apparence et son comportement. Pourtant, elle est aujourd’hui l’une des plus grandes poétesses du XXe siècle. On peut être différent, pas dans le même moule et être un être extraordinaire. Personnellement, j’aime ces Précieuses ridicules, ces femmes certes pédantes, mais tellement attachantes. Dans un monde où le machisme perdure, elles méritent une place sur scène.

Ex-traits de femmes, Anne Kessler ©C. Raynaud de Lage, coll. CF
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Anne Kessler : Bien sûr. Son écriture est aiguë. Après, tout est dans la manière de les interpréter. Harpagon, par exemple, a l’un des pires vices. Son avarice, c’est horrible, mais quand il perd sa cassette, il est comme un garçon de trois ans. On vient de lui enlever son bien le plus précieux, son jouet, il est vulnérable et donc touchant. Derrière le vieil homme détestable, se cache un être qui a dû être blessé dans son enfance. C’est important au plateau de montrer sa faille. Ça le rend plus humain. 

Anne Kessler : Je les ai dessinés alors que j’apprenais mon texte. Ils font partie intégrante de la création. C’est pour cela qu’il me semblait nécessaire qu’on puisse les voir défiler tout au long de la pièce. Au Studio de la Comédie-Française, quand j’ai créé le spectacle, j’étais dans le décor du Mariage forcé, mis en scène par Louis Arène, ils n’étaient pas aussi visibles qu’aujourd’hui. Au théâtre de la Concorde, ils le sont beaucoup plus. Je remercie d’ailleurs Elsa Boublil, de m’avoir permis de reprendre ce seul-en-scène et de me recevoir aussi merveilleusement. Le spectacle prend une autre dimension et c’est un vrai plaisir de monter tous les soirs sur scène. 

Après, et c’est toute la magie du théâtre, je pourrais très bien jouer sans décor à la table d’un café. Tous les textes peuvent ainsi être défendus. On doit pouvoir les raconter n’importe où. Mais il est important que décor, costumes et effets scéniques viennent nourrir la mise en scène et souligner le récit. 

Anne Kessler : Je vais reprendre au Petit-Saint-Martin, les Fleurs d’Algernon et je travaille avec François Marthouret sur un montage de texte à partir du Livre de l’intranquillité de Pessoa, dont la première aura lieu le 8 avril prochain dans le même théâtre. J’ai de nombreux rêves. Le temps devrait me permettre de les concrétiser. 


Ex-traits de Femmes d’après les pièces de Molière
créée en juin 2022 au Studio de La Comédie-Française dans le cadre des Singulis
Durée 1h00

Reprise
4 au 12 février 2025 au Théâtre de la Concorde

Dates passées
19 au 30 septembre 2024 au Théâtre 14

Conception, interprétation et animation graphique d’Anne Kessler
Lumières d’Éric Dumas


Des Fleurs pour Algernon d’après le roman de Daniel Keyes
12 mars au 4 mai 2025
Théâtre du Petit-Saint-Martin
durée 1h20

Adaptation Gérald Sibleyras
Mise en scène Anne Kessler 
Avec Grégory Gadebois
Décors Guy Zilberstein
Lumières Arnaud Jung
Son Michel Winogradoff


Le Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa  
8 avril au 27 mai 2025
Théâtre du Petit-Saint-Martin
Durée 1h15

Mise en scène Anne Kessler
Avec François Marthouret
Scénographie Clémentine Dalmatie 
Lumières Yves Angelo

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