Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Le chapeau de paille d’Italie et les spectacles de Georges Lavaudant au TNP Villeurbanne. J’avais 7 ou 8 ans, mes parents aimaient le théâtre et nous vivions à Lyon. J’étais en primaire avec le fils du prodigieux acteur Philippe Morier-Genoud. J’étais fasciné par l’esthétisme des spectacles du metteur en scène, cet assemblage de théâtre, de littérature, de danse, d’images… et d’humour.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je crois que j’ai toujours su que je voulais être acteur. Ma mère m’a raconté que dès l’âge de trois ans, je préparais mes spectacles et j’invitais les gens à s’asseoir pour venir assister à la représentation. Il y avait une alcôve avec un plancher surélevé dans un coin de notre salon, une salle de bains dans la continuité. Un théâtre était là, tout trouvé : avec sa scène et sa coulisse !
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Je dirais ma passion d’adolescent pour le cinéma italien : Fellini, Visconti, Antonioni, la comédie italienne (avec Vittorio Gassman notamment). Parallèlement, j’ai développé une goût prononcé pour la littérature et plus particulièrement la poésie contemporaine que j’aimais dire à voix haute. Le théâtre s’est trouvé entre ces univers visuels, souvent muets, et les textes à faire ressentir.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Le premier spectacle auquel j’ai participé était une adaptation de la fable de La Fontaine Les animaux malades de la peste, en primaire. Je jouais l’âne ! Ma grand-mère paternelle m’avait confectionné un magnifique costume dont j’étais très fier. Je me souviens que j’avais pris énormément de plaisir sur scène et que le public avait beaucoup ri.
Maintenant, si je pense au premier « vrai » spectacle où un public se déplace le soir pour voir une pièce entière – où vous êtes en coulisses avec cette pointe au cœur qui monte, avec les bruits des spectateurs dans la salle – c’est Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare quand j’étais en terminale à l’option théâtre. J’étais arrivé sur le tard dans le projet, car à l’époque le snowboard, le tennis et les amours occupaient la quasi-totalité de mon esprit… Je jouais Dogberry qui a une part clownesque et pour lequel le professeur et metteur en scène m’avait laissé une part d’improvisation. Lors d’une de mes premières entrées en scène, seul dans un noir absolu, tenant simplement une bougie à la main, je me suis approché, l’air farouche, fixant le public, et j’ai improvisé un « je sens comme une présence ». Tout le monde a explosé de rire. C’est un détail, mais pour moi, ce fut un déclic. Je m’en souviens encore.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Comme spectateur, j’ai été fasciné par les spectacles de Patrice Chéreau, puis Thomas Ostermeier, Tg Stan, Les chiens de Navarre… Et comme acteur, les deux rôles qui m’ont le plus transformé sont Alexandre le Grand (dans Le tigre Bleu de l’Euphrate de Laurent Gaudé) que j’ai joué pendant 10 ans, et Mastromas dans la pièce de Dennis Kelly. Je me rends compte que ce sont deux rôles où je parcourais la trajectoire totale d’une vie, de la naissance jusqu’à la mort. Je me souviens précisément des cinq secondes avant de rentrer sur scène chaque soir de Mastromas où je commençais la pièce, nu en position fœtale, ce vide, cette excitation…
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Il y a deux acteurs que j’admire, qui m’inspire et qui sont devenus des amis, ce sont Philippe Morier-Genoud et Jacques Bonnaffé. Je suis heureux d’avoir pu travailler avec des metteurs en scène comme Claude Chabrol, Anatoli Vassiliev, Jean-Xavier De Lestrade, Ivo van Hove, Franck Berthier, Christophe Gand… Mais j’aime les rencontres et je ne les classe jamais dans mon esprit.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Ce métier est indissociable de mon quotidien. Je n’ai jamais l’impression de travailler. Mais mon équilibre ne repose pas uniquement sur mon métier d’acteur. J’ai d’autres passions qui me permettent de garder mon équilibre quand j’ai besoin de me ressourcer, de rebondir.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’aventure : la montagne, le désert, la mer. L’amour et l’amitié. Ma fille, Lulu. Tous les moments où je découvre quelque chose. Les moments où j’atteins mes limites, dans lesquels je ne sais pas comment je vais m’en sortir. Je pense que la vie est un théâtre. Rien n’est jamais très grave.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Un moment d’abandon, de voyage, de perte de contrôle. L’excitation de me mettre en danger, de rencontrer des artistes intenses et fascinants.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le ventre. C’est animal.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Julie Deliquet, Arthur Nauziciel, Séverine Chavrier, Cyril Teste, Léo Cohen-Paperman, Charles Templon, Johanna Boyé, Jérémie Lippmann… Et tant d’autres.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un spectacle qui fasse le tour du Monde ! Ou tout du moins que l’on puisse jouer en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud… dans des pays non francophones, de cultures différentes… Cet été, nous sommes allés jouer le Voyage à Zurich au Kosovo. Ce fut une expérience forte et précieuse.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
La longue route de Bernard Moitessier. Dix mois entre mer et ciel, où le navigateur raconte le premier tour du monde à la voile en solitaire, sans escale et sans assistance de 1968. Alors qu’il passe le Cap Horn en tête et qu’il s’apprête à finir la course en vainqueur, il décide de ne pas s’arrêter et de poursuivre sa route. Il enchaîne alors un second tour du monde.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Voyage à Zurich de Jean-Benoît Patricot
Mise en scène de Franck Berthier
Tournée 2025
26 janvier 2025 au théâtre Le Reflet, Vevey (Suisse)
31 janvier 2025 au théâtre du Vésinet
5 au 7 février 2025 à la Comédie de Picardie, Amiens