Quelles sont vos grandes lignes de programmation ?
Tom Leick-Burns : Elles se construisent beaucoup sur le relationnel et des partenariats de longue date. Si j’ai pris la tête des Théâtres en 2015, cela fait plus de vingt ans que je suis dans la maison. J’ai donc travaillé très étroitement avec l’ancienne direction. Au fil du temps, des liens ont vu le jour avec certains artistes, certaines familles esthétiques. Toutefois, il est important et nécessaire de rester ouvert à de nouveaux projets et, surtout, aux affinités qui se nouent. Ces affinités sont nécessaires au bon fonctionnement du lieu, à la défense d’un projet.
En tant qu’artiste, j’ai forcément un regard qui s’est nourri à l’aune de mon expérience. J’ai notamment eu l’intuition qu’il fallait faire évoluer le modèle de coproduction classique. En général, il faut deux ans entre le lancement et la réalisation d’un projet. Ce sont des temps très longs. Il était donc important d’impliquer les artistes dans un certain nombre d’initiatives locales. Nous les incitons notamment à être parrain ou marraine de la plateforme TalentLAB. Cela crée des moments de transmission tout en facilitant l’insertion professionnelle des artistes luxembourgeois.
Quels sont les artistes que vous suivez ?
Tom Leick-Burns : Nous avons bien évidemment des affinités avec des artistes comme Aurélien Bory ou Tiago Rodrigues, dont nous suivons le travail de près. Nous travaillons aussi régulièrement avec Ivo van Hove. Beaucoup de projets que nous accueillons ou que nous produisons sont le fruit de relations qui se tissent au fil du temps. L’idée pour nous est d’installer une œuvre, de créer des liens sur le long terme. Le coup par coup ne nous intéresse pas, car comme je viens de l’évoquer, il est important que les artistes que nous recevons s’impliquent au niveau du territoire. Depuis plusieurs années, nous avons d’ailleurs développé les résidences d’artistes. Ainsi, lors des présentations au public, de vrais échanges s’esquissent. Si l’on regarde notre saison, plus de 90 % des spectacles que nous présentons sont des coproductions ou des productions maison.
Comment allez-vous à la découverte de nouveaux talents ?
Tom Leick-Burns : C’est un travail d’équipe. Avec Anne (Legill), mon adjointe, et les autres membres de la structure, nous allons voir ce qui se fait ailleurs. Nous ne voyageons pas forcément beaucoup, mais nous nous informons des créations et nous échangeons beaucoup avec d’autres maisons artistiques, avec nos partenaires pour nous tenir au courant. Quand c’est possible, nous allons voir les spectacles en personne. Sinon, nous nous appuyons sur des captations. Nous programmons rarement sans avoir pu voir un travail ou une œuvre. Mais au-delà de cela, ce qui compte avant tout, c’est que l’artiste soit au centre de notre projet. Nous mettons tout en œuvre pour le soutenir dans son processus de création.
Vous revendiquez une trans-disciplinarité ?
Tom Leick-Burns : C’est en effet l’ADN du projet. Nous programmons autant du théâtre, de la danse que de l’opéra, des grandes et des petites formes. Nos salles nous permettent cette pluralité-là. Par ailleurs, nous tentons aussi de proposer à nos publics des œuvres venues de l’internationale. Nous avons la grande chance d’être au croisement des cultures en Europe. Cela nous a permis de tisser des partenariats avec de grands festivals et de grandes maisons en Europe. Nous accueillons ainsi des artistes et compagnies comme Miet Warlop, Oona Doherty, B.Dance, Romeo Castellucci ou Peeping Tom. La programmation est donc éclectique.
Par ailleurs, quand nous préparons la saison, nous commençons par le lyrique, car souvent ce sont des projets qui se préparent entre six mois et trois ans à l’avance. Ensuite, nous nous intéressons aux grandes formes de danse, le Nederlands Dans Theater, Crystal Pite, Anne Teresa de Keersmaeker. Des thématiques se dégagent progressivement, et nous construisons une histoire cohérente entre les différents spectacles.
Quelles sont les thématiques qui traversent cette saison 24-25 ?
Tom Leick-Burns : Les grandes préoccupations de notre temps, que ce soit au niveau écologique, social, politique, etc… Assez rapidement, nous avons aussi remarqué un frémissement autour de l’adolescence. Nous avons donc décidé de consacrer un focus sur ce thème, avec des projets liés aux écoles locales. L’idée est d’aller vers de nouveaux publics, de trouver de nouveaux endroits où artistes et spectateurs se rencontrent et de monter l’art vivant à travers d’autres prismes. Dans le cadre de ce focus, Anne Simon, une de nos artistes associés, a eu l’envie de travailler sur Spring Awakenings – L’éveil du printemps – de Frank Wedekind et de proposer aux élèves de plusieurs écoles de travailler sur le texte puis de leur passer commande. L’œuvre est un maillage entre cette grande œuvre du répertoire allemand et les préoccupations des jeunes d’aujourd’hui. Le résultat sera présenté en avril. C’est un des projets les plus enthousiasmants de cette saison.
Vous parliez aussi d’émergence…
Tom Leick-Burns : Quand j’ai pris la direction des Théâtres, la première question que je me suis posée en tant qu’artiste est : que manque-t-il ? La réponse était claire : du temps et un lieu pour travailler. C’est de cette réflexion qu’est né TalentLAB, un projet qui permet d’accompagner des compagnies, en leur offrant notamment un lieu de résidence, le Théâtre des Capucins, des parrains et marraines qui apportent leur regard, leur expérience. Cela fait partie des responsabilités que nous avons en tant que lieu, soutenir mieux les créations en devenir, les artistes au cours de leur processus créatif. Dans ce cadre, nous mettons à disposition une salle, une équipe technique, une visibilité en intégrant les projets sélectionnés sur notre plaquette de saison et des sorties de résidence. Cette année nous accueillons la compagnie 22 et l’autrice Lola Molina.
Par ailleurs, nous avons aussi mis en place le Future Laboratory, un projet de recherche sur l’inclusion sociale avec des artistes sélectionnés qui ont fait trois résidences dans trois villes différentes. L’idée est de porter au plateau des récits que l’on entend peu ou rarement au théâtre. Nous avons fait le choix d’une maison engagée, d’une maison pour tous. On le sait, beaucoup de gens n’osent pas pousser les portes d’un théâtre et en allant à leur rencontre, nous essayons d’en finir avec ces barrières invisibles, souvent sociales. Nous faisons donc souvent de grands écarts. D’un côté, nous avons présenté Bérénice de Romeo Castellucci avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre en octobre au Grand Théâtre et de l’autre des œuvres comme In My Mind, une libre adaptation du texte de Céline De Bo par Justin Pleutin, Stéphane Robles, Pauline Collet, montré dans le cadre des Capucins Libre en décembre.
Quel est votre public ?
Tom Leick-Burns : Notre public est divers et varié, à l’image de notre situation géographique. Nous accueillons des spectateurs qui viennent autant d’Allemagne, de Belgique que de France. Certains viennent voir les opéras et les grands spectacles de danse, d’autres les grands noms de la scène européenne. Nous avons la chance d’avoir un grand plateau, ce que n’ont pas forcément les villes frontalières. Cela nous permet de rayonner un peu plus largement, peut-être que d’autres maisons. Par ailleurs, nos prix sont attractifs, ce qui permet à des publics qui n’auraient pas les moyens d’aller à Paris ou Londres d’assister à des spectacles et des opéras auxquels ils n’auraient autrement pas accès.