Bienvenue en enfer, en l’occurrence une morgue, où un corps, allongé sur une table en acier, est prêt à être embaumé. Le regard amusé, Hadès (impayable Jean-Daniel Broussé) observe la scène. S’animant, il joue les maîtres de cérémonie, les hôtes enjoués, drôles et caustiques. Vêtu d’une sorte d’imper transparent, qui laisse entrevoir son anatomie musclée et tatouée, il s’adresse au public, leur demande ce qu’il leur a pris de venir voir un spectacle qui s’intitule Ruination – Ruines en français – alors qu’on est à Paris et qu’il y a tant d’autres spectacles à quelques encablures de là bien plus réjouissants.
Le ton est donné. Ben Duke ne se contente pas de réinventer l’histoire de Médée et de Jason, il la transforme en une comédie musicale tragi-comique autant que burlesque. Ici, le héros antique n’est pas si vertueux que cela. Il a l’amnésie providentielle. La fratricide et l’infanticide n’est pas non plus le monstre sanglant que l’on connaît. Elle est une victime du système patriarcal qui veut que la femme soit tentatrice et l’homme faible à ses charmes vénéneux.
Un procès burlesque
Diplômé de littérature, ayant rencontré la danse à 26 ans en intégrant la London Contemporary Dance School, l’artiste britannique aime à se frotter au grand mythe et à leur donner une autre lecture. Après Juliet & Roméo en 2018, A Tale of Two Cities d’après Charles Dickens en 2022, il s’attaque dans cette nouvelle production, qui vient d’obtenir le prix de la meilleure chorégraphie contemporaine aux National Dance Awards, à Médée. Et comment mieux comprendre ses crimes et ses motivations en imaginant son procès ?
C’est donc au cœur des enfers que les deux anciens amants vont s’affronter. L’enjeu est d’importance, la garde des enfants sauvagement assassinés dans leur bras de leur mère. Est-elle coupable de cet odieux massacre ? Pour le fringant Hadès, portant en collerette un magnifique tutu rose, aucun doute possible. Il se fait logiquement l’avocat du beau et virginal Jason (détonnant Liam Francis). Féministe en diable, Perséphone (irradiante Anna-Kay Gayle) en est moins sûre. Elle se range du côté de la belle Médée (lumineuse Hannah Shepherd).
Du rire et des larmes
Au fil des reconstitutions qui mettent en scène les quatre crimes dont est accusée l’amante, l’épouse, la mère, la femme répudiée, une autre vérité se fait jour. Le mythe à la peau dure, les idées reçues aussi. En contorsionnant les faits, en déplaçant le regard, Ben Duke esquisse un récit très éloigné de celui d’Euripide, que de petits intermèdes désopilants et décalés ponctuent savoureusement. Entremêlant facétieusement tragédie et comédie, il signe une œuvre totale déjantée autant que fascinante.
Féministe et légère, la partition du chorégraphe britannique surfe habillement entre théâtre, musique et danse. Le pari de transformer le drame effroyable de Médée en un show musical pétulant est sans contexte réussi. Porté par une troupe d’artistes incroyablement doués que ce soit dans le mouvement, le jeu et le chant, Ruination : The Story of Medea est une un petit bijou de fantaisie, une gourmandise à déguster sans modération !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ruination : The Story of Medea de Ben Duke
Lost dog / The Royal Ballet
Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville
31 rue des Abbesses
75018 Paris
Du 21 au 26 janvier 2025
durée 1H40 environ
Mise en scène et chorégraphie de Ben Duke
Avec Miguel Altunaga, Jean Daniel Broussé, Maya Carroll, Liam Francis, Anna-Kay Gayle, Hannah Shepherd et les musiciens Sheree DuBois, Yshani Perinpanayagam, Keith Pun
Décor de Soutra Gilmour
Direction musicale d’Yshani Perinpanayagam
Lumières de Jackie Shemesh assisté de Joe Hornsby
Son de Jethro Cooke
Vidéo d’Hayley Egan Assistante à la direction Andreea Paduraru
Assistante à la chorégraphie – Winifred Burnett-Smith
Dramaturgie de Raquel Meseguer Zafe
Surtitrage – Dominique Hollier
Régie des surtitrages – Katharina Bader
Direction plateau – Amy Steadman
Régie son – Chris Campbell, Régie lumières Hector Murray, Conor Westley Adjointe à la direction plateau – Hannah Gillett