© Marie Clauzade

Pour Georges Lavaudant, Le Misanthrope change de registre

Le metteur en scène s’empare de Molière pour la première création de la Cité européenne du théâtre, nouvelle entité regroupant le Domaine d’O et le Printemps des Comédiens à Montpellier.

Parmi l’œuvre laissée par Molière, Le Misanthrope concentre un certain nombre de particularités, tant dans l’approche dramaturgique que dans la construction même de la pièce. Ses cinq actes pour une comédie, ses alexandrins, ses intrigues sociales et amoureuses approfondies en font un texte auquel mieux vaut se confronter avec vigueur, d’autant que la frontière est maigre entre les différents registres. C’est précisément en plaçant ce texte au cœur de sa réflexion que Georges Lavaudant semble s’être penché sur la question. Avec un espace de jeu et des costumes qui contraignent les mouvements, toute l’essence du propos passe ainsi par les mots.

© Marie Clauzade

Dans leurs vêtements guindés façon punk mondain d’un autre siècle, Alceste (Eric Elsmonino), Philinte (François Marthouret), Arsinoé (Astrid Bas) et les autres paraissent tout droit sortis d’une maison de poupée empoussiérée. Il faut dire que les miroirs qui les entourent se sont ternis, et que les placards de Célimène (Mélodie Richard) débordent de robes toutes plus pompeuses les unes que les autres. S’appuyant sur la scénographie et les costumes de Jean-Pierre Vergier, Georges Lavaudant place ainsi son Misanthrope dans un espace à huis clos. Ici, bien que les murs puissent être repoussés pour donner l’illusion d’une certaine liberté, tout concourt à maintenir une forme de pression sur les personnages au plateau.

Dans son approche spatiale autant que dans sa direction de jeu, Georges Lavaudant mise donc sur l’appropriation de la langue de Molière comme dernière issue. Après tout, celle-ci contient déjà tous les ressorts de la pièce, charge désormais aux comédiens de la faire entendre et de lui donner sens. Or au défi des alexandrins, certains rouages du texte semblent résister encore à une prononciation dont on sent qu’elle pourrait être plus fluide, déstabilisant par là-même l’interprétation de certains. Pour autant, quelque chose dans cet empêchement vient jouer sensiblement sur la question des genres théâtraux, tenant ce Misanthrope à l’écart d’une lecture trop comique.

© Marie Clauzade

Les vibratos dans la voix, les mains tremblantes et les postures droites voudraient en effet faire croire qu’une tragédie est en train de se jouer. Mais cela tient encore de la société-spectacle que décrie Le Misanthrope. Ce qui place cette création dans son propre registre tient en revanche de la délicatesse avec laquelle Georges Lavaudant instaure peu à peu son atmosphère. Abordant le plateau en se mettant à distance de l’intrigue comme on feuillette un album photo, le metteur en scène s’appuie sur les lumières – qu’il signe avec Cristobal Castillo-Mora – et le son de Jean-Louis Imbert pour y développer une ambiance particulière. Il distille ainsi une forme de mélancolie qui plonge la comédie dans ce qu’elle a de plus obscur, de plus humain.

Les miroirs, les costumes et les confettis au sol rappellent sans cesse qu’une époque faste a probablement eu lieu. Mais dans cette mise en scène, la grandiloquence n’a plus rien d’incontournable. C’est même avec une certaine habileté que Georges Lavaudant s’amuse à suggérer le visage qu’aurait pu prendre son Misanthrope pour le confronter à celui dont il prend le parti. Car sans se refuser à quelques rares cabotinages bien choisis, cette création se pose finalement à contre-pied du Molière qu’on s’imagine aisément. À l’effervescence, aux cabrioles et aux éclats s’opposent finalement un stoïcisme et une résignation qui donnent à cette pièce une grinçante nature humaine.


Le Misanthrope de Molière
Cité européenne du théâtre – Domaine d’O
178 rue de la Carriérasse
34090 Montpellier
Du 24 au 29 janvier 2025
Durée environ 2h

Tournée
Les 1er et 2 mars 2025 : La Comète, Châlons-en-Champagne
Du 12 au 30 mars 2025 : Athénée – Théâtre Louis-Jouvet, Paris

Mise en scène de Georges Lavaudant assisté de Fani Carenco
Dramaturgie de Daniel Loayza
Scénographie et costumes de Jean-Pierre Vergier
Assistante costumes – Siegrid Petit-Imbert
Maquillage, coiffure, perruques – Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Régie maquillage, coiffure, perruques – Nathalie Damville
Régie générale – Nicolas Natarianni
Création lumière de Georges Lavaudant et Cristobal Castillo-Mora
Création son de Jean-Louis Imbert
Avec Eric Elmosnino, Astrid Bas, Luc-Antoine Diquéro, Anysia Mabe, François Marthouret, Aurélien Recoing, Mélodie Richard, Thomas Trigeaud, Bernard Vergne, Mathurin Voltz

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