Qu’est-ce qui vous a donné envie de candidater ensemble pour la direction du Théâtre Silvia Monfort ?
Ninon Leclère : On s’est rencontré alors que j’étais directrice du bureau de production Formart et que Jean-Baptiste travaillait au TNB. Il était mon interlocuteur direct. Assez vite nous nous sommes rendus compte que nous avions des valeurs similaires, des goûts communs, des affinités esthétiques et artistiques. Par ailleurs, nous nous rejoignons sur une certaine éthique de travail, une manière de nous adresser aux artistes et de les accompagner. Tous ces ingrédients ont conduit sans qu’on le formule vraiment à une envie de s’associer. Un soir alors que nous étions ensemble au Monfort Théâtre, nous ne lui avions pas encore redonné son nom d’origine le Théâtre Silvia Monfort, j’avais invité Jean-Baptiste à venir voir, Dialaw Project de Mikaël Serre, un spectacle dont je m’occupais. L’annonce de la candidature est tombée.
Jean-Baptiste Pasquier : C’était un soir de juin. Nous étions dans le jardin. Le spectacle était très international. Il y avait comme une émulation. Un rêve commun a émergé et a fini par prendre forme tout naturellement. Très vite, on s’est pris au jeu. Il faut dire que le lieu était très inspirant et nous a permis d’en imaginer toutes les possibilités. Nous avons mis sur le papier les grandes lignes du projet en faisant de nos complémentarités une vraie force.
Quels en sont les grands axes ?
Ninon Leclère : Déjà, il y avait la question de la transdisciplinarité qui était au cœur du projet de Stéphane (Ricordel) et Laurence (de Magalhaes) et qu’il nous semblait essentiel de poursuivre. Elle est constitutive de mon parcours. Ayant débuté ma carrière à La Colline – Théâtre national, où venait d’être nommé Stéphane Braunschweig, j’ai d’abord été marquée par les spectacles de textes montés par des artistes comme Thomas Ostermeier ou Krystian Lupa, puis par des formes plus hybrides portées par la scène flamande. C’était la grande époque de Jan Fabre, de Guy Cassiers, etc. Ils apportaient au plateau un nouveau souffle et entremêlaient les arts vivants dans des spectacles grand format. Cela m’a marquée et a forcément influencé mes aspirations. C’est vers là que je tends et que je souhaite aller. C’est donc logique que ce soit une des pierres angulaires du projet que nous portons.
Jean-Baptiste Pasquier : C’est comme inscrit dans les murs de ce lieu atypique, qui est à la fois dans la ville et à son orée. Le théâtre est au cœur d’un parc, son bassin de population est plutôt familial. Il est à la lisière d’un monde où il fait bon se retrouver pour partager. C’est un lieu un peu underground où l’on se sent bien, où il est permis de rêver et de réinventer le spectacle vivant. Comme le disait Ninon, Stéphane et Laurence lui ont donné une identité, l’ont habité et l’ont inscrit dans une histoire en mettant en avant des formes singulières. Le travail qu’ils ont fait en dix ans est tout simplement incroyable. Ils ont donné une âme au théâtre. Il était logique de s’inscrire dans leur sillage tout en y apportant nos propres aspirations. Quand nous avons postulé, nous nous sommes beaucoup imprégnés du lieu, de son énergie. On ne peut pas aller contre cette essence qui en fait son identité.
Comment réinvente-t-on un lieu si marqué par la présence de ses anciens directeurs ?
Ninon Leclère : C’est clairement quelque chose de très complexe. Et étonnement je dirais que la bascule entre leur projet et le nôtre s’est opérée plus vite que prévu. Nous avons ancré notre vision du théâtre rapidement. Le fait que la passation se soit faite avec beaucoup de bienveillance a aidé, bien sûr. Mais nous avions beaucoup anticipé notre arrivée. Nous avons pris notre temps pour penser le projet. Il était mûr quand nous nous sommes installés dans les murs. Nous avons tout de suite changé de nom et d’identité visuelle, renouvelé l’équipe. Les premiers résultats se sont vite fait ressentir.
Jean-Baptiste Pasquier : Cela fait maintenant deux ans que nous sommes à la tête du Théâtre Silvia Monfort et déjà nous avons constaté que le public est présent même s’il a changé à plus de 50 %. Il y a donc une adhésion au projet et un changement de pratique et d’habitude. Nous avons fait le choix dès le départ de nous adresser au public du secteur. C’est à-dire aller vers les familles qui habitent autour du parc. Nous sommes dans un secteur essentiellement résidentiel. Nous avons donc développé les propositions vers le tout public et ainsi proposer des œuvres qui permettent une expérience trans-générationnelle. Par ailleurs, nous avons eu l’intuition qu’il fallait amener dans ce lieu une offre musicale qui va de la création expérimentale à des sons rock, jazz et électro. Nous avons vraiment l’envie de défendre de nouvelles esthétiques qui correspondent à ce que nous sommes et qui décloisonnent les arts vivants. C’est ainsi qu’est née aussi l’idée de parcours à travers la saison, de temps forts identifiés.
Qu’en est-il de la scène internationale ?
Jean-Baptiste Pasquier : C’est un des autres axes forts de notre projet. Cette saison, nous avons une quinzaine de pays différents représentés au plateau. Il était fondamental pour nous de défendre cette ouverture vers d’autres dramaturgies, surtout quand l’on voit le contexte géopolitique mondial. La circulation des œuvres, des artistes est essentielle pour comprendre le monde mais aussi pour aller à sa rencontre.
Ninon Leclère : Ce n’est pas un hasard, si le projet que nous portons s’intitule Le Théâtre Silvia Monfort, scène transdisciplinaire internationale. Il nous correspond. Avec Jean-Baptiste, nous venons de là. Nous nous sommes construits à travers des esthétiques du monde entier, soit en accompagnant des artistes d’ailleurs, soit poussés par notre curiosité à traîner dans les festivals d’ici et là. Si nous ne sommes pas une scène labellisée, nous nous donnons les moyens par des partenariats notamment avec d’autres structures pour développer une ligne artistique internationale. C’est un travail minutieux de tricotage et de collaborations, qui porte imperceptiblement ses fruits. Le Festival Paris Globe qui a eu lieu en mai dernier en est un bel exemple.
Comment vous inscrivez-vous dans le panorama théâtral parisien ?
Ninon Leclère : Nous avons l’un des plus grands plateaux parisiens. Il faut donc l’habiter. Mais parallèlement à cela, nous n’avons pas un budget illimité. Nous devons donc constamment nous confronter à la réalité de notre outil. Il était donc important en plus de la transdisciplinarité et de l’ouverture à l’international, que nous continuions à soutenir une génération d’auteurs, d’autrices, de metteurs et de metteuses en scène dont le geste est très affirmé et dont nous souhaitons accentuer la visibilité à Paris, comme c’est le cas de Céleste Germe ou d’Élise Chatauret. Ce sont des artistes qui sont de la même génération que nous. Nous avons grandi ensemble. Ils ont les mêmes préoccupations sur les questionnements politiques ou sociétaux. Nous sommes donc un maillon dans la chaîne de programmation qui leur permet de montrer leur travail sur un grand plateau.
Comment d’ailleurs programmez-vous ?
Jean-Baptiste Pasquier : Tout d’abord, c’est un savant alliage entre formes de théâtre, de danse, de nouveaux cirques et de musique. La performance est aussi un des éléments importants de notre programmation. Nous avons une amplitude artistique qui est à 360°. C’est d’autant plus central, que l’on voit bien depuis quelques années la porosité accrue entre les arts vivants. Ensuite, nous travaillons comme beaucoup de lieux entre fidélité et instinct. Les sujets abordés sont aussi des éléments que nous prenons en compte. Nous essayons d’être très exhaustifs pour le registre, exigeants à la dramaturgie et innovants avec la forme.
Ninon Leclère : Nous cultivons aussi une forme de générosité, d’ouverture au monde et de dialogue entre la scène et la salle. Le partage est quelque chose qui nous tient énormément à cœur. Depuis que nous travaillons dans le secteur du spectacle vivant, nous avons noué des liens forts avec des artistes et nous nous sommes attachés à certaines esthétiques. Aujourd’hui, nous essayons de rendre compte de tout cela dans notre saison.
L’un de vos temps fort est dédié aux musiques de création…
Jean-Baptiste Pasquier : Le Festival Sonore est en effet un moment important de la saison. Il se tient fin janvier et début février. Il s’inscrit dans notre volonté de proposer des expériences sensorielles et acoustiques, de repenser un peu les types de concerts et de permettre au public de s’immerger dans des formes spécifiquement pensées pour le lieu. Pour cette deuxième édition, nous avions envie d’affirmer la présence de groupes et de grands ensembles. Nous avons aussi fait le choix de mettre en lumière des artistes de jazz spécialisés dans l’improvisation, car c’est assez rare d’avoir des propositions généreuses comme celles-là.
Ninon Leclère : Dans le cadre de ce Festival, nous nous sommes d’ailleurs associés à Antonin Leymarie qui est compositeur en résidence pendant deux saisons au théâtre. Il intervient notamment pour développer avec nous un ensemble de propositions, que ce soit des créations ou des reprises de son répertoire. Par ailleurs, cette association nous a permis de concrétiser la mise en place d’une fanfare de quartier qui se déploie sur le territoire et qui est un des piliers du festival.
Vous travaillez beaucoup en collaboration avec d’autres lieux, d’autres labels ?
Ninon Leclère : Oui c’est essentiel pour développer les publics, les croiser et permettre de soutenir au mieux les artistes. Nous sommes ainsi partenaire de Fragments autour de l’émergence et du réseau européen de danse Aerowaves. Par ailleurs, et c’est important, nous sommes aussi une maison de production. C’est un élément important de notre projet et l’identité que l’on veut donner au lieu.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Théâtre Silvia Monfort
106 rue Brancion
75015 Paris