Le Rendez-vous
© Aloïs Aurelle

Le Rendez-vous : Une logorrhée grinçante autour de la culpabilité allemande après la Shoah

Aux Bouffes du Nord, à Paris, Camille Cottin met son talent au service de Jewish Cock, monologue acerbe de l’écrivaine allemande Katharina Volckmer, qui entremêle les questionnements sur le deuil, le genre et le souvenir de la Shoah.

Une longue paire de jambes sans visage, emmitouflées dans une drôle de combinaison rouge vif, est allongée sur un immense et épais rideau violet. Les jambes se croisent, se décroisent, et s’ouvrent même parfois au rythme des confessions de leur propriétaire, qui livre ses anecdotes les plus crues à un interlocuteur invisible, façon séance chez le psy.

Sauf que le docteur Seligman n’est pas psy, mais gynécologue. Il n’en faut pas plus pour installer une atmosphère grinçante, que manie tout au long de la pièce Jonathan Capdevielle dans sa mise en scène sur-expressive. Le motif de la consultation, lui-même, touche à un tabou : Allemande expatriée à Londres, la narratrice est venue se faire greffer un pénis circoncis.

Le Rendez-vous - Camille Cottin - Jonathan Capdevielle © Aloïs Aurelle
© Aloïs Aurelle

En 2021, l’autrice allemande Katharina Volckmer se faisait un nom dans le petit monde de la littérature française avec un premier roman, Jewish Cock. Un vaste monologue aux airs de flux de conscience, qui déglinguait d’un même mouvement les carcans du genre et la culpabilité allemande d’après Shoah. Seul-en-scène, adapté de cette quête identitaire et autobiographique, Le Rendez-vous (titré ainsi pour éviter tout malentendu, notamment après le 7 octobre) s’attache à restituer certaines des réflexions de l’autrice. Et surtout, à faire vivre sur scène cette femme, qu’interprète formidablement Camille Cottin, dont le sarcasme tend un miroir au silence du lendemain de la Shoah.

Alimentée en permanence par ces deux fils narratifs — le genre et la Shoah —, cette thérapie auprès du Dr. Seligman, lui-même juif, ne connaît aucune limite. La mise en scène, réduite à quelques poses lascives dans des costumes ridicules, est minimale : en short difforme et bombers, la narratrice évoque volontiers ses fantasmes autour de la « bite » du Führer, se souvient avec mépris des chants en hébreu qu’on lui faisait chanter enfant, à l’école, quand bien même « il n’y avait aucun Juif » et que personne ne parlait hébreu. « L’important, c’était de montrer que l’on n’était pas racistes ! », cingle-t-elle, ruban multicolore dans les mains.

Des monuments aux morts érigés en plein Berlin à leur mémoire, elle s’interroge : « Franchement, qui a envie que l’on se souvienne de soi toujours comme une victime ? » Elle-même n’est pas épargnée par la culpabilité. Arrière-petite-fille du chef de gare du dernier arrêt de train avant Auschwitz, elle n’a trouvé que la greffe de sexe, financée par l’héritage de son aïeul, pour soulager sa conscience.

D’une anecdote à l’autre, la comédienne, qui se démène comme un beau diable, évolue autour d’une scénographie mouvante imaginée par Nadia Lauro. Le rideau, sur le sol, se gonfle et s’affaisse, comme s’il recouvrait un tas de corps gémissants. Il nous arrive de nous perdre dans cette vaste logorrhée, qui mélange revendications féministes et réflexions sur le travail de mémoire du lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la fin, ne reste qu’une chose : la puissance de ce personnage et de son sarcasme, qui ont mis en mots tant de silences.


Le Rendez-vous, adapté du roman « Jewish Cock » de Katharina Volckmer
paru aux Editions Grasset
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris.
Du 7 au 25 janvier 2025
Durée 1h20

Tournée
28 et 29 janvier 2025 à la MC2: Grenoble
31 janvier et 1er février 2025 à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
4 et 5 février 2025 au Radiant-Bellevue, Caluire-et-Cuire, dans le cadre du Hors-les-murs des Célestins, théâtre de Lyon
7 février 2025 à L’Onde, Théâtre Centre d’Art Vélizy-Villacoublay
10 et 11 février 2025 à La Coursive, Scène nationale de La Rochelle
13 février 2025 au Théâtre du Vésinet
16 février 2024 à l’Opéra de Vichy
23 février 2025 au Bâtiment des Forces Motrices, Genève
25 février 2025 au Théâtre de Beausobre, Morges (Suisse)
1er et 2 mars 2025 à Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, Toulon
4 au 6 mars 2025 à Anthea Antipolis, Théâtre d’Antibes
11 au 22 mars 2025 au TNS, Strasbourg
24 et 25 mars 2025 au TAP, Poitiers
7 et 28 mars 2025 aux Scènes du Golfe, Vannes
3 avril 2025 au Cratère, Scène nationale d’Alès
5 avril 2025 à L’Ombrière, Pays d’Uzès
8 avril 2025 au Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées

Adaptation pour la scène de Camille Cottin et Jonathan Capdevielle.
Traduction française de Pierre Demarty.
Mise en scène de Jonathan Capdevielle.
Assistant à la mise en scène Benjamin Gauthier.
Conception scénographique de Nadia Lauro.
Costumes Colombe Lauriot Prevost.
Création Lumière Yves Godin.
Création sonore et musicale de Pierre Boscheron.
Chorégraphie de Marcella Santander.

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