Le rendez-vous a lieu entre Noël et le jour de l’An, les deux périodes les plus denses et les plus riches pour les théâtres parisiens. Nous devions nous retrouver au bar de l’hôtel des Grands Boulevards, à deux pas du théâtre des Variétés où depuis la rentrée, le comédien joue dans l’excellente comédie de Sébastien Castro, Une idée géniale. La synchronicité des gens toujours en avance fait que dès ma sortie du métro, je remarque José Paul observant la vitrine de la librairie. Cela nous permet de parler littérature.
Un homme fidèle
Nous nous installons ensuite dans ce magnifique bar cosy aux couleurs chaudes de Noël. On évoque les souvenirs. Il y en a eu des spectacles depuis la première fois où je l’ai vu sur scène, en 1993 dans Les coqs se couchent à l’aube à la Comédie Caumartin jusqu’à sa dernière mise en scène, Mon jour de chance au Théâtre Fontaine. Une quarantaine ! En évoquant cette belle liste, on remarque sa fidélité à des auteurs, des actrices et acteurs. « Et aussi l’équipe technique, décors, costumes, lumières, vidéos… C’est essentiel dans ce métier de s’entourer de gens qui ont confiance en moi et en qui j’ai confiance. On ne se rend pas compte du gain de temps dans le travail ! » Il reconnaît ne pas être contre la nouveauté. « On apprend toujours des autres. »
Si pour Berlin Berlin, c’était la première fois qu’il mettait en scène une pièce de Patrick Haudecœur, l’homme ne lui était pas inconnu. « On s’est rencontrés un peu par hasard avec Patrick, il y a des années. On a vu nos spectacles respectifs et puis on s’est liés comme ça, naturellement, simplement », jusqu’à se donner la réplique dans Le dîner de con en 2014. Il en est de même avec le coauteur Gérald Sibleyras qu’il côtoie depuis Un petit jeu sans conséquence (2002) et La garçonnière (2017). «J’aime bien travailler avec des gens avec lesquels il y a une relation, une forme de complicité intellectuelle ».
La comédie comme l’ADN
Lorsqu’il se penche sur la mise en scène d’un spectacle, il s’y prend très en amont et n’hésite pas à demander aux auteurs de retravailler leur texte. « Avec Sébastien Castro, on a fait 39 versions avant de commencer à répéter Une idée géniale. Trois ans de travail ! Pour Mon jour de chance, avec Gérald et Patrick, c’étaient 25 versions. Ce travail est essentiel. Je n’arrive pas le premier jour de répétition en me disant : Qu’est-ce que je monte ? Le travail est fait et je sais très bien où je vais. Il faut juste que j’arrive à le faire partager à mes acteurs. »
En regardant son parcours exceptionnel, la comédie, dans tous ses genres et toutes ses formes, a sa préférence. Il a découvert le théâtre à la Comédie-Française avec sa grand-mère qui l’avait emmené voir Ruy Blas de Victor Hugo. « J’avais sept ou huit ans, et j’ai eu un choc. Le metteur en scène Raymond Rouleau avait, avec virtuosité, panaché comédie et tragédie. Ce jour-là, j’ai décidé de faire ce métier ! »
Des premiers pas sous les étoiles
Il s’inscrit alors au cours de Jean-Laurent Cochet et devient contrôleur au Théâtre de la Michodière où il va se nourrir de théâtres et de comédies. « J’y ai vu tous ces grands artistes de l’époque, comme François Perrier dans Coup de chapeau, Daniel Auteuil qui démarrait. Je me souviens, en particulier, de Joyeuses Pâques, avec Pierre Mondy qui avait repris le rôle de Poiret. J’étais fasciné de voir Maria Pacôme qui après plus de 700 représentations n’arrêtait pas de me dire qu’elle n’en pouvait plus. Un soir, je lui ai répondu : moins vous en pouvez Maria, plus vous êtes merveilleuse ! Elle était alors arrivée à être dans une épure absolue et elle était irrésistible. C’était une merveille, une pure merveille. »
La belle époque du Café-théâtre
Il avoue avoir été recalé trois fois au dernier tour du Conservatoire. « Je pense que si j’y étais entré les choses ne se seraient pas passées ainsi. Puisqu’il n’était plus question du Conservatoire, je me suis lancé dans le café-théâtre. » Après son travail à la Michodière, il courrait pour être en scène après 22h30 aux Blancs-Manteaux. À la fin des années 1980, ces petits lieux permettaient aux jeunes, avec trois bouts de ficelles et une grande envie de se lancer et qui coûtait moins cher qu’un Avignon. « On n’avait pas besoin de production pour démarrer une pièce. On arrivait, le théâtre nous disait, c’est 50 % pour nous, 50 % pour vous. Vous vous débrouillez. On pouvait montrer des auteurs. C’est comme cela que j’ai pu monter du Dubillard et du Guitry. »
Lorsqu’on lui demande comment il est arrivé à la mise en scène, la réponse fuse en toute franchise et dans un grand éclat de rire : « Parce que personne ne voulait de moi ! Si je veux travailler, il faut que je me mette en scène ! Le premier gros succès que j’ai eu au Café-théâtre, c’est avec Des Bulles dans l’encrier de Robert Boudet que j’ai monté et dans lequel je m’étais distribué. Nous étions cinq acteurs et on l’a joué deux ans ! La mise en scène est née de ça. Et puis au fur et à mesure, tout s’est enchaîné presque naturellement. On a commencé à me demander. Et après, je ne me suis plus jamais mis en scène ! »
Une Agnès précieuse
Et nous revenons à la fidélité qui l’unit notamment à Agnès Boury. « J’ai commencé un peu comme un autodidacte puis Agnès Boury est devenue mon assistante. Je peux dire qu’elle m’a appris la mise en scène ! Elle a été essentielle. » Comme il s’était distribué un rôle dans la comédie de Castro, il lui a demandé de le rejoindre à la mise en scène. Et tel un arroseur arrosé, Agnès Boury s’est retrouvée à jouer le rôle de la voisine. ! « Ce n’était pas prévu ! Lors d’une lecture entre nous pour peaufiner le texte, on lui a demandé de lire le rôle. On avait trouvé notre comédienne ! Elle nous a traités de fous, mais on a su la convaincre. » Résultat : le Molière du meilleur second rôle pour elle.
Un chef de chœur
Mettre en scène une comédie s’apparente au travail d’un chef d’orchestre qui permet à une partition d’être jouée en rythme et ensemble. « Il y a quelque chose de cet ordre… C’est musical, de toute façon. Le rythme, comme j’explique souvent aux acteurs, c’est l’enchaînement. Par exemple, avec Une idée géniale, on a le sentiment que ça va vite, en réalité pas du tout, sauf qu’à peine une porte se ferme, une autre s’ouvre, à peine le personnage de Sébastien sort, qu’il réapparaît en descendant l’escalier. Personne ne court ! On ne court pas sur un plateau ! »
Son personnage, lui, ne court pas ! « Le rythme réside aussi dans de la manière de répondre à son partenaire, de provoquer ainsi ce qu’on appelle le faux rythme ». Et il y a les silences. « Ce qui est très important dans ce moment-là, c’est de jouer quelque chose ! Si on est toujours dans une sorte de frénésie, ça ne fonctionne pas. Ce rythme est difficile à expliquer, mais je le sens. Quand je mets en scène, il y a quelque chose de viscéral. »
Au service de la comédie
Pour Mon jour de chance, sorte de Jour sans fin, à chaque fois que le personnage principal fait un saut dans le temps, on se retrouve à vivre à chaque fois le même début : deux personnages descendant un escalier pour accrocher un tableau. Comme celui-ci disparaît pour réapparaître s’en que l’on s’en rende compte, c’est un peu le clou du spectacle et beaucoup cherchent à comprendre comme cela fonctionne. « Il n’y a pas un accessoire qui n’est pas raccord, alors que durant la scène, ils ont été bougés, touchés ! C’est un gros travail que l’on fait en amont ! Et si quelqu’un guette le faux pas, il ne l’aura pas ! »
Le travail d’un comédien n’est pas uniquement de savoir son texte, mais aussi ses déplacements, les gestes. C’est dans la rigueur des répétitions que va se trouver la force comique. « Dans la comédie, deux personnages ne peuvent pas faire la même chose, ne peuvent pas intervenir de la même façon. C’est le principe des binômes, du clown blanc et de l’Auguste. Ce ressort, on le retrouve chez Molière et Marivaux. Le théâtre est un éternel recommencement. La forme est différente, le ton est différent, mais pas le fond. La comédie, c’est un équilibre à tout point de vue, équilibre dans le rythme et celui des personnages. Ce qui fonctionne dans Mon jour de chance, comme dans Une Idée géniale, c’est que les personnages sont interprétés avec sincérité. »
Les joies du rire
Après sa création au théâtre Michel et une très belle tournée, la pièce de Sébastien Castro est depuis septembre au Théâtre des Variétés où, auréolée de ses Molières, elle fait carton plein. « On est comme des enfants par rapport à ça ! On doit en être à la 650e représentation et tous les soirs, je pense à la chance qu’on a d’avoir cette communion avec le public. » Dès les premières représentations de Mon Jour de chance au Théâtre Fontaine, les spectateurs ont aussi répondu présent. Les deux spectacles sont d’ailleurs prolongés jusqu’au printemps. « La comédie est un art noble et c’est important de le dire. »
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Une idée géniale de Sébastien Castro
Théâtre des Variétés
7 boulevard Montmartre
75002 Paris
Jusqu’au 27 avril 2025
Durée 1h30
Mon jour de chance, de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras
Théâtre Fontaine
10 rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Jusqu’au 18 mai 2025
Durée 1h30