En 2017, Rémi Prin alors à la direction technique et à la programmation du Théâtre des Déchargeurs, a imaginé avec Emmanuelle Jauffret le festival Court mais pas vite pour accompagner les premières écritures et mises en scènes de jeunes artistes. Après la fermeture brutale du lieu, le festival a été accueilli en 2023 à l’Atalante où à l’unanimité le jury a récompensé la maquette de 30 minutes de C’était comment quand j’étais dans ton ventre ? de la Compagnie Memento.
Lorsque il prend la direction du 3 T – Théâtre du Troisième Type, maison de l’émergence théâtrale et musicale tout juste implanté à Saint-Denis, c’est en toute logique qu’il a programmé les trois premières représentations du spectacle lui permettant ainsi de se confronter pour la première fois aux spectateurs avant d’arriver au Théâtre de Belleville. Ce public très attentif, où en cet après-midi de novembre les lycéens étaient en nombre, a accueilli cette proposition avec la passion et l’émotion que suscite son sujet.
Une mosaïque de destins
Comment répondre à cette question : Comment c’était dans ton ventre, lorsque l’enfant vient d’ailleurs ? Un ailleurs qui est souvent un autre pays, une autre histoire et surtout un « autre ventre ». Les deux autrices poussent plus loin la question. Comment faire pour offrir cet amour à un enfant que l’on vous confie ?
Victoire a créé un réseau de paroles destiné à tous ceux, qui comme elle, ont été adoptés. Deux jeudis par mois, Maya, Barbara, Manatui, Kaïs et la petite nouvelle Faustine se réunissent chez elle pour échanger leurs histoires, leurs questionnements, leurs ressentis, leurs recherches sur leur passé. Comme dans toutes les familles, la parole est au centre. Aucune adoption ne ressemblant à une autre, il est nécessaire de comprendre pourquoi un jour, ils ont été abandonnés.
« Pourquoi moi ? Pourquoi ils sont venus me chercher ? »
Les autrices évoquent aussi la vie de Lise et d’Antoine, un couple en mal d’enfant, qui après les échecs de la PMA a décidé d’adopter. Après un long et pénible parcours qui aboutit dans un orphelinat en Afrique, une petite fille leur est « livrée ». Prêts à surmonter de tout leur amour les difficultés souvent liées à la différence de couleur, ils emportent avec eux Faustine. Dans leurs bagages, ils enfouissent ce qui va devenir un secret de famille. À l’adolescence de la jeune fille, celui-ci refait surface.
Du roman de soi au roman familial
Lou Attias et Jeanne Kleinman connaissent bien leur sujet. L’une a un frère adopté en Polynésie et l’autre une sœur en Côte d’Ivoire. De leurs histoires familiales, de toutes les paroles récoltées auprès d’adoptés et d’adoptants, mais aussi des divers services administratifs et associatifs, les deux jeunes femmes ont parfaitement réussi à tisser la trame de leur bouleversant spectacle. Elles parlent de l’amour, du désamour, des douleurs, mais aussi des joies qui habitent ces êtres amputés d’une part d’eux-mêmes. Adopté ou adoptant, il faut construire et reconstruire. C’est passionnant.
S’appuyant sur une scénographie très subtile de sens, leur mise en scène est fort habile. Passant d’un espace à l’autre, les tableaux s’enchaînent et permettent aux histoires de se croiser sans jamais se télescoper. Tom Almodar, Coline Barthélémy (en alternance avec Brenda Broohm), Antoine Bourasset, Angelina Colombani, Yéri-Bérénice Ouédraogo et Néphélie Peingnez, qui ont également participé à l’écriture, passent d’un personnage à l’autre dans une belle énergie de troupe, donnant à chacun toutes les nuances nécessaires pour faire passer les émotions. Et elles ne manquent pas. Bravo.
Marie-Céline Nivière
C’était comment quand j’étais dans ton ventre ?
texte Lou Attias et Jeanne Kleinman, à partir de témoignages recueillis et avec la participation des interprètes
Spectacle vu le 25 novembre au 3 T – Théâtre du Troisième Type
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75020 Paris
Du 5 au 28 janvier 2025
Durée 1h15
Mise en scène de Lou Attias et Jeanne Kleinman
Avec Tom Almodar, Coline Barthélémy ou Brenda Broohm, Antoine Bourasset, Angelina Colombani, Yéri-Bérénice Ouédraogo, Néphélie Peingnez
Lumières de Noémie Richard
Décors et costumes de Maud Chanel
Création vidéo d’Ingrid Foubert & Eddy Martin
Musique de Lucien Craviatto
