Silhouette longiligne, urbaine, Benjamin Voisin est au téléphone quand on le retrouve à quelques encablures de la Maison de la Radio où il vient de donner une interview. Ce qui frappe immédiatement, c’est sa tête d’ange à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, mais que dément aussitôt son regard azur malicieux et mélancolique. Aîné d’une fratrie de quatre, il a autant le sens des responsabilités, que le feu à l’âme. À vingt-huit ans, il a tourné avec Ozon, Depardieu, Balibar, Lindon et son colocataire Stefan Crépon.
Une gueule et des fêlures
Au cinéma, il prend la lumière. Une gueule, il en a une. S’il peut jouer les fils de bonne famille, les gendres idéaux, il y a en lui une fêlure, une animalité, qui l’emmène vers d’autres rôles, loin des évidences. On pourrait croire que son destin était tracé. Fils d’un professeur du cours Florent et d’une comptable, né dans le milieu, il en connaît les codes. Il a assisté, enfant dans les coulisses, à des tournages et des répétitions.
« Enfant, je me souviens avoir suivi mon père au théâtre de la Tempête pour assister à des répétitions. Dans mon coin, je m’amusais à répéter les mêmes répliques que les comédiens sur scène. J’étais aussi fasciné par ce que me révélait l’envers du décor. Voir les artistes parler entre eux, l’une se démaquillant, l’autre changeant de costume, tout semblait d’une banale normalité. Si je n’ai dit à mon père que je souhaitais être comédien qu’à l’âge de dix-huit ans, je suis intimement convaincu d’avoir bénéficié de sa part d’un piston que je qualifierais d’émotionnel. »
Dans la famille Voisin, on est très pudique. Chacun cultive son jardin secret. « Bien sûr, mon père veille de loin, mais jamais, il ne s’est imposé. Bien que j’aie commencé par les cours Florent, il n’a jamais été intrusif dans ma formation ou dans mon parcours de comédien. » Un peu taiseux et solitaire, Benjamin Voisin fait ses armes à sa manière, nonchalante et studieuse. Il lit beaucoup. De Mars de Fritz Zorn à La Vie devant soi de Romain Gary, en passant par les œuvres épiques de Jack London, Léon Tolstoï ou Fiodor Dostoïevski, il se laisse porter par les mots. Après quatre mois, il quitte le Conservatoire. « Les élèves me faisaient peur. Cela manquait de vie, d’émotions brutes, d’instinct. »
Mais c’est une démarche personnelle qui l’amènera sur les planches. « Ce n’est pas tant le jeu qui m’intéresse, que les mots, la littérature. Quand je lis, je répète souvent une phrase, car j’aime sa sonorité. Je me pose mille questions. Comment la dire pour ne pas aplatir l’intention de l’auteur, lui donner la bonne intensité ? Avant tout, ce qui me plait dans le métier d’acteur, c’est la manière dont il est possible de s’approprier une phrase écrite par un autre et ne pas en casser l’énergie, mais au contraire, lui donner vie. Toutes ces questions n’ont pas tant à voir avec mes émotions ou mon ressenti, c’est plutôt quelque chose de mathématique. »
L’appel des planches
À l’aise à l’écran, donnant la réplique à Emmanuelle Bercot, à Marina Foïs à Frédéric Pierrot ou à Vincent Lindon, il se révèle au théâtre un comédien habité par les démons d’un autre, ceux d’un soldat de la Première Guerre mondiale, blessé dans les tranchées, qui plus tard se fera un nom dans la littérature. « Ce qui me fascine au théâtre, c’est que contrairement au cinéma, où le réalisateur vient voler les émotions, il faut donner plus et être dans une grande maîtrise pour jouer ce qui est demandé. »
Dans l’idéal, le jeune homme confesse qu’il aimerait alterner théâtre et cinéma, trois ou quatre films par-ci et une pièce par-là. « Les deux univers, les deux pratiques me plaisent et me passionnent. Sur les planches, on est astreint à une forme d’assiduité. Toute la journée, on se prépare, il va falloir entrer sur scène, être dans le personnage dès le lever de rideau et ne pas le quitter jusqu’à la fin. Il y a quelque chose de très sacralisé. Au théâtre, on joue devant des spectateurs qui ont payé leur place et en veulent pour leur argent. Au cinéma, c’est devant des techniciens, qui s’occupent de vérifier le son, l’image, etc. L’enjeu est différent. L’un est dans l’immédiateté, l’autre dans un différé lointain et sans véritable contact avec le public. »
Un passionné de lecture
Quand Benoît Lavigne lui propose de porter au plateau les mots inédits de Céline, c’est pour le jeune homme un vrai cadeau du ciel. « J’ai, je crois, crié de bonheur dans la rue. L’homme ne m’intéresse pas, ses idées encore moins, mais il faut reconnaître son talent d’auteur, sa plume. C’est un novateur, sa langue coule, roule. Elle est d’une telle modernité. Il fait partie, avec Marguerite Duras, de ces écrivains qui me touchent parce que leur langue est proche de la mienne. Des auteurs comme Huysmans qui décrit l’Église catholique sur plus de soixante-dix pages, je trouve cela fascinant. Plus je lis et plus je me rends compte du pouvoir imaginaire des mots, plus cela me donne envie de partager et de donner aux autres, mes frères, mes sœurs, mes cousins, ce goût de la littérature. »
Le texte de Céline, paru seulement en 2022, est d’une violence inouïe. Il dit tout de l’absurdité de la guerre. Entremêlant récit autobiographique et fictionnel, il se révèle âpre, gouailleur, cru. « Guerre fait partie de ses meilleurs écrits. Céline est jeune et découvre la vie. On y retrouve sa déception exacerbée de l’humanité, son pessimisme. Cela me parle et me correspond. Je lis rarement des choses joyeuses. Les fleurs du mal de Baudelaire, une saison en enfer de Rimbaud, sont sur ma table de chevet. Je prends la vie de manière légère pour éviter de me confronter à sa violence. En littérature, c’est l’inverse. »
En abordant ce texte avec sincérité, Benjamin Voisin lui offre sa jeunesse et sa gouaille. Pas besoin de forcer le trait, il est Louis-Ferdinand envoyé au front sans trop savoir pourquoi. « Le narrateur est blessé après la chute d’un obus. Il doit réapprendre à vivre. Pour l’interpréter, je me suis mis à sa place. Sans aucun bagage, il doit tout redécouvrir, comment interagir avec les autres, écouter son corps, ses pulsions même sexuelles et entendre le monde autour. C’est un être naïf qui se retrouve confronté à la violence du monde. »
Un instrument au service des mots
Passant d’un rôle à l’autre, le comédien se laisse porter par son instinct. « Ce qui m’intéresse, c’est de dessiner un caractère, une humanité derrière les mots. Bien sûr, il peut m’arriver de choisir un projet plus qu’un autre parce que j’ai envie de travailler avec tel réalisateur ou tel metteur en scène, mais le scénario reste au cœur de mes préoccupations. » C’est d’autant plus important que pour s’approprier un personnage, Benjamin Voisin a besoin de visualiser, de ressentir les mêmes choses. « Tant que je n’ai pas trouvé l’imaginaire du personnage, je reste en dehors. Je suis quelqu’un de très contemplatif. J’aime me balader, observer les gens, leur comportement et essayer de les analyser et de les comprendre. C’est ma façon de regarder le monde et par ricochet, d’appréhender mon métier. »
Dans son parcours comme dans sa manière d’être, il y a un je-ne-sais-quoi de Patrick Dewaere dans son jeu à fleur de peau, sa fausse nonchalance, son intensité d’incarnation. Ce n’est pas pour rien qu’il le cite quand on lui demande ce qu’il aimerait jouer. « C’est erroné de croire que les acteurs choisissent leur rôle. Ce sont les metteurs en scène qui décident et qui inventent le costume des acteurs. À nous de nous y conformer. » Tout cela n’est qu’une histoire de désir. Benjamin Voisin l’a bien compris. Il ne s’offusque pas d’un refus ou d’un projet qui ne se réalise pas.
Il essaie de comprendre, mais pour lui l’important est ailleurs. « Nous sommes des instruments, des violons. Il ne tient qu’à nous d’être un stradivarius dans les mains du metteur en scène. C’est lui qui a les clés du projet qu’il porte depuis quatre ans. Étant à l’écran ou sur scène, on vole la vedette. C’est tout. J’aimerais avoir quelques chose à dire, faire mon propre film. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé le sujet, cela mûrit lentement et ça viendra en temps et en heure. »
Pas prêt à forcer le destin, Benjamin Voisin prend la vie comme elle vient. Jouer des alexandrins pourquoi pas ? Interpréter un syndicaliste radicalisé ou un mystérieux romantique ? Tout est possible. Humble, il rêve à demain. Gourmand, il se réjouit déjà de ce qu’il a accompli. Son seul credo, ne jamais s’ennuyer. « Le jour où ce métier m’intéressera moins, je m’arrêterais, je trouverai un atelier et je me mettrai à la peinture, un art solitaire dont on ne dépend d’aucun désir. »
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Guerre d’après Louis Ferdinand Céline
spectacle crée le 7 juillet 2023 au Théâtre du Chêne noir dans le cadre du Festival OFF d’Avignon
Reprise
8 janvier au 2 mars 2025 au théâtre de l’Œuvre
Dates passées
12 septembre au 21 octobre 2023 au Théâtre du Petit Saint-Martin
Mise en scène de Benoît Lavigne
Avec Benjamin Voisin
Adaptation Théâtrale de Bérangère Gallot de Benoît Lavigne
Collaboration Artistique – Sophie Mayer
Scénographie & Lumières de Seymour Laval
Compositeur de Raphaël Chambouvet
Costumière – Isabelle Deffin
Régisseur Général – Fabrice Viste