Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’ai découvert le spectacle vivant tout petit puisque mes deux parents sont comédiens. Alors pour les souvenirs qui sont nombreux, ils sont difficiles à placer chronologiquement ! Ma mère jouait dans Piaf, l’ombre de la rue, mis en scène par Jean Bellorini. Leur succès fut tel qu’ils ont dû jouer peut-être 500 fois. J’ai donc passé plusieurs vacances à suivre ma mère en tournée. Pour un gosse c’est génial ! Plein d’adultes avec des âmes d’enfants s’occupent de nous. Moi qui suis fils unique j’avais alors l’impression de faire partie d’une immense famille ! Et je me souviens que pendant le spectacle ma mère chantait De l’autre côté de la rue, et j’étais obligé à chaque fois de partir par le fond de la salle en courant parce que je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Je crois que je ne saisissais pas encore complètement ce qui était vrai ou faux.
L’autre souvenir est lorsque mon père jouait La guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux, mis en scène par Nicolas Briançon. Mon père, qui interprétait Ulysse, n’arrivait qu’à la fin et par le fond de la salle. Un jour, malin comme un singe, alors que je m’étais endormi tout le début – car Giraudoux quand on est petit c’est un peu pompeux – je me suis réveillé juste à temps pour me mettre debout sur mon fauteuil, me retourner et annoncer à tous les spectateurs autour de moi que mon papa n’allait pas tarder à entrer par le fond ! Ça n’a pas manqué lorsqu’il est entré, tous les spectateurs regardaient déjà dans sa direction !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Petit, je rêvais d’être rugbyman, puis pendant un temps pilote d’hélicoptère et puis rugbyman à nouveau. Rien à voir avec l’artistique. Ma mère m’avait fait faire une fois un pub photo pour de la lessive, je m’étais tellement ennuyé que j’étais sorti en lui disant : « plus jamais » !
Mais à 18 ans, n’ayant pas de contrat professionnel de rugby à l’horizon et zéro choix validé sur parcours SUP, je me retrouve sans rien. Poussé par un élan d’aventure je décide de partir au bout du monde : En Australie. Et c’est là-bas que mon envie est née. Loin de ma langue natale. Ma mère m’avait mis dans la valise une liseuse avec les œuvres complètes de Molière et Shakespeare. Ça n’a pas manqué je les ai dévorés. À mon retour j’ai parlé de cette envie à mes parents et ils m’ont inscrit à un stage des cours Florent où j’ai travaillé pendant une semaine sous la direction de Jean-Pierre Garnier et c’en était fait ! Je voulais faire ça toute ma vie.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
La question ne s’est pas posée. C’était ça et puis c’est tout. Après au cours de mes expériences, j’ai rencontré les métiers de régisseur son et lumière. Dès que je peux, je vais les aider pour apprendre les ficelles. Je trouve ça passionnant.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était en deuxième année au Cours Florent. J’étais dans la classe de Laurent Bellambe. Le musée Victor Hugo, qui venait d’être rénové, lui avait commandé pour sa réouverture, une petite forme itinérante. Mon souvenir le plus marquant était que nous commencions par La conscience : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Nous étions en cercle autour du public et nous nous étions divisé les répliques. Le jour de la première, j’avais un tel trac que je ne sécrétais plus aucune salive. Ma langue s’était solidifiée et ma bouche était devenue un désert aride. Et bien sûr je n’avais pas de petite bouteille d’eau à côté de moi. J’ai vraiment prié pour que quelqu’un ou quelque chose vienne me sauver, jusqu’à enfin sortir ma première réplique et me libérer de ce poids de dire pour la première fois des mots devant des gens que je ne connaissais pas.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Je suis un grand fan de Jean-François Sivadier et je dirais que sa création qui m’a le plus touché c’est Sentinelles. Tout le long je n’ai pas cessé de remettre en question tous les choix que j’ai faits dans ma toute petite carrière. Ce spectacle a bougé énormément de choses en moi. Je l’ai d’ailleurs vu deux fois sur ces trois dernières années et à chaque fois j’en suis sorti avec des nouveaux chemins de penser complètement différents par rapport à mon art. J’aimerais également vous parler d’une découverte qui m’a complètement scotché, La Terre d’Anne Barbot que j’ai vue dans la petite salle du TGP. Je n’avais rarement vu un tel niveau de jeu. Une telle incarnation : totale et démesurée ! Je suis sortie de là des étoiles dans les yeux, persuadé d’avoir rencontré l’avenir du théâtre !
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Il y a bien sûr les membres de la promotion 24 de l’ESCA (École Supérieur des Comédiens par l’Alternance) à Asnières, et parmi eux une en particulier : Rose Noël. J’ai fait avec elle ma première co-mise en scène, Et je sentais s’ouvrir mes yeux, une adaptation des pièces en un acte de Tchekhov. Puis elle m’a demandé de collaborer avec elle sur Il était une fois à Gyntiana, spectacle finaliste du concours du théâtre 13 et enfin j’ai joué pour elle dans Un songe d’une nuit d’été à l’ESCA en septembre 2024. C’est une personne incroyable qui sait pousser chaque individu d’une équipe vers le meilleur de lui-même. De rencontrer son alter ego qui réfléchit et se passionne autant que soit c’est rare et merveilleux. C’est une femme que j’admire et avec qui j’espère partager ma vie d’artiste !
Il y a aussi Stéphanie Chévara (Bart et Balt), la directrice du plateau 31 à Gentilly. C’est une femme remarquable qui porte sur ses épaules un théâtre de banlieues et qui permette à notre art de toucher dans les endroits où les grosses productions ne vont pas. C’est la première metteuse en scène à m’avoir donné ma chance et je lui en suis éternellement reconnaissant.
J’ai adoré travailler avec Philippe Minyana, un auteur extraordinaire et un amoureux des acteurs et des actrices. J’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi heureux de faire ce métier. Il ne transmet que de la joie et de la folie dans son travail.
La metteuse en scène de L’Affaire Rosalind Franklin, Julie Timmerman qui, sous un regard strict mais bienveillant, m’a permis de repousser quelques limites dans mon jeu.
Je ne peux pas ne pas citer mes parents qui sont mes modèles. Je suis un vrai mélange des deux.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je crois que mon équilibre se trouve dans le fait de toujours tendre vers la nouveauté. Cette curiosité constante de moi-même et de l’autre. Dans ma toute petite carrière, j’ai dû tester déjà trois ou quatre méthodologies différentes et aucune n’est suffisante. La satisfaction, l’acte accompli, définitif ou immuable n’existe pas. C’est ça que je trouve génial dans cet artisanat : toujours remettre son métier à l’ouvrage !
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Beaucoup de choses bien sûr ! Je suis un gros cinéphile ! Grand fan de Robert De Niro. J’aime beaucoup De Funès, je suis incollable. Steve Carell et The Office, je pense que j’ai dû regarder et décortiquer le jeu de chaque acteur dans cette série cinq ou six fois. Cillian Murphy me baffe régulièrement la gueule. J’ai d’ailleurs pris des places pour aller voir la comédie musicale tirée de Picky Blinders à la Seine Musicale parce que je connais également cette série par cœur.
Grâce à ma mère j’ai un petit héritage comédie musicale. C’est à chaque fois une immense claque ! J’admire leur talent de chant et de danse. Ils me font comprendre qu’on peut faire passer beaucoup de choses par le corps. Je suis aussi un grand fan d’Alexandre Astier. Kaamelott c’est ma bible quelque part. Ce mec me passionne et sa vision de notre art répond à beaucoup de questions que je me pose au quotidien. Un des auteurs que j’ai beaucoup lus ces derniers temps : Hadrien Klent ! Je vous recommande vivement Paresse pour tous. C’est une fenêtre sur une société complètement différente qui m’a beaucoup fait réfléchir.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Il doit y avoir un rapport filial je pense. La scène porte quelque chose que je connais depuis le plus jeune âge. C’est comme une deuxième maison et en même temps elle me parvient toujours comme un endroit sacré. J’aime l’appréhender et d’un autre côté j’ai parfois l’impression qu’elle ne m’accepte pas, que je ne la mérite pas. C’est paradoxal. Les théâtres portent des histoires qui peuvent être écrasantes. Comme la scène de la Porte Saint-Martin où j’ai joué dans Le chapeau de paille d’Italie, mis en scène par Alain Françon. Toutes les pièces, les metteurs en scène, les acteurs qui ont « vécu » dedans, c’est juste dément. Alors moi qui suis-je pour prétendre y venir à mon tour ?
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
C’est dans la bouche. Cette prise d’air qui traverse tout mon être juste avant de commencer ou au contraire cette espèce de raideur et ce truc sec et désertique qui l’a rempli et la contrainte.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Si Sivadier m’entend qu’il sache que je compte bien postuler à tous ses stages jusqu’à ce qu’on se rencontre. J’aimerais beaucoup travailler avec Jean-Philippe Daguerre également et j’espère que ça arrivera prochainement ! Nicolas Bouchaud ! Je lui trouve une insolence particulière que j’admire et que j’essaie aussi en cachette de voler. Anne Barbot bien sûr ! J’aimerais bien rejouer avec Vincent Dedienne. Je l’ai vu à l’œuvre sur 80 dates. Je l’ai vu faire et refaire en remettant toujours un présent fou sur scène. J’ai trouvé ça incroyable.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Je crois que j’aimerais beaucoup participer à un des stages internationaux d’Ariane Mnouchkine. Son aura et son histoire m’impressionnent énormément. Et l’idée de rencontrer des acteurs et des actrices d’autres pays, d’autres cultures, d’autres formations est un fantasme.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Je n’en ai aucune idée… On va dire que je suis en train de l’écrire.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
L’affaire Rosalind Franklin, d’Élisabeth Bouchaud
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris
Reprise du 8 au 19 janvier 2025
Durée 1h15