Stéphane Cottin © Céline Nieszawer
© Céline Nieszawer

Stéphane Cottin : le théâtre comme un souffle vital

Metteur en scène, comédien, il est aussi un des premiers à avoir maîtrisé, tel un artiste, l’utilisation de la vidéo au théâtre. À l’occasion de l’arrivée au Théâtre des Gémeaux Parisiens, après deux festivals Off d’Avignon, de son spectacle Belles de scène, il revient sur son parcours et sa passion du théâtre.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Aussi loin que je me souvienne, je me revois assistant à des spectacles. J’ai eu la grande chance d’avoir des parents qui m’ont emmené au théâtre très jeune et fait découvrir des univers artistiques très différents, de la Comédie-Française aux grandes comédies de boulevard. Le théâtre faisait totalement partie de notre vie. Mais étonnamment je comprends que je suis incapable de désigner précisément mon premier souvenir. Ou peut-être si… Ce qui me revient à l’instant ce sont les spectacles de Guignol du petit théâtre de marionnettes au Jardin d’Acclimatation dans le bois de Boulogne. C’est un souvenir diffus, bien sûr, mais empreint d’une très grande joie et de merveilleux. C’est drôle, je réalise que ces deux mots reviennent d’ailleurs souvent dans mes orientations artistiques.

Stéphane Cottin - Belles de Scène © Cyril Valroff
Avec Vincent Heden dans « Belles de Scène » © Cyril Valroff

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans ce secteur ?
Je trouve que c’est toujours très difficile de déterminer précisément un élément déclencheur. C’est à mon sens aussi périlleux que de tenter de se définir soi-même avec exactitude. Mais bien sûr c’est sans doute une série de chocs émotionnels lorsque j’ai assisté à des spectacles. Je me souviens notamment de la première version des Misérables qu’avait mis en scène Robert Hossein au Palais des Sports. La salle immense, la scénographie spectaculaire et l’extraordinaire partition de Schönberg avaient submergé l’enfant de 10 ans que j’étais. Et quand Gavroche est entré en scène, je me souviens avoir voulu être à sa place de toute mon âme. Il faut dire que c’est une œuvre exceptionnelle. D’ailleurs je meurs d’envie de voir la version de Ladislas Chollat qui triomphe actuellement au Châtelet.

Je me souviens aussi d’un autre choc, plus récent celui-là et ô combien déterminant : une représentation du Songe d’une nuit d’été mis en scène par Jorge Lavelli. J’étais plus vieux, je faisais déjà du théâtre en « initiation jeune » au cours Florent et je me souviens être sorti de la salle Richelieu en me disant « C’est vraiment ça que je veux faire et rien d’autre ». L’univers du cabaret, la distribution étincelante (Jean-Luc Boutté et Michel Aumont entre autres), la musique d’Astor Piazzola, tout cela m’avait littéralement renversé.

Stéphane Cottin - L'Avare © DR, collection privée
Premier spectacle à l’école, le rôle de Frosine dans « L’Avare » © DR, collection privée

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
Est-ce que j’ai seulement choisi ? La première envie, celle d’être acteur, s’est imposée à moi, je ne peux rien dire d’autre. Bien sûr répondre à cet appel est pour le coup un choix véritable. J’ai de ce moment un souvenir extrêmement précis : J’étais en prépa vétérinaire au lycée Saint-Louis, en devoir-test de chimie organique. Un moment j’ai relevé la tête, et je me suis dit « si je reste là je vais mourir ». Je suis sorti, j’ai traversé la Seine (et le Rubicon, donc) et je suis allé m’inscrire en formation professionnelle à l’école Florent… Mais quelles raisons profondes ont motivé ce choix ? Encore aujourd’hui je ne suis pas tout à fait certains de les connaître.

Et c’est un peu la même chose pour la mise en scène ! Au gré des rencontres cette possibilité s’est offerte à moi. J’ai eu tout de suite beaucoup de joie à pratiquer cet exercice que je considère comme un véritable artisanat. J’ai adoré travailler sur la scénographie. La relation délicate qu’implique la direction d’acteur m’a passionné. J’ai eu plutôt de bons retours sur mon travail alors j’ai continué… Et l’envie a été décuplée de spectacle en spectacle.

Quel est le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Pour le coup le souvenir est très précis. C’était une représentation de L’Avare dans mon lycée qui était non mixte (une autre époque) et je jouais Frosine (déjà le travestissement). Je me souviens du frisson de plaisir pur lorsque j’ai fait rire la salle et de l’envie de recommencer tous les jours…

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Bien entendu j’ai eu de nombreux coups de cœur mais le spectacle auquel je pense immédiatement comme spectateur c’est La Trilogie des Dragons de Robert Lepage que j’avais vu dans sa version intégrale de six heures. Je suis bouleversé par son travail. Son théâtre mêle si puissamment les destins individuels et la grande histoire, la simplicité apparente des dialogues avec la sophistication du dispositif scénique. C’est un extraordinaire faiseur d’image et de merveilleux. Je me souviens m’être réfugié aux toilettes de Chaillot pour pleurer comme un enfant après la première partie. Et comme précurseur de l’utilisation de la vidéo au théâtre, il m’a aussi beaucoup inspiré…

Stéphane Cottin - Le Lauréat © DR, collection privée
Tournage des séquences pour « Le Lauréat », avec Arthur Fenwick © DR, collection privée

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
J’ai la chance d’en avoir fait de nombreuses qui sont les jalons de ma vie tant personnelle que professionnelle. Je pense d’abord à deux de mes professeurs : Olivier Médicus et Jean-Claude Jay. Le premier m’a transmis une très grande liberté et le plaisir infini du jeu. Le second m’a permis, quelques années plus tard, de renouer avec ce plaisir et cette liberté après un moment plus ingrat et douloureux dans mon parcours d’apprenti comédien. Jean-Claude a su « rouvrir la cage » et je lui en ai une reconnaissance éternelle.

Je pense évidemment à José Paul et Christophe Lidon qui sont mes deux grands frères de théâtre sans lesquels ma vie aurait été bien différente. Mais aussi à Adèle Bernier que j’ai distribuée dans plusieurs de mes spectacles et que je considère comme mon alter ego féminin, ou encore à Anne Parillaud pour laquelle j’ai eu un vrai coup de foudre artistique et amical. Je pense aussi à Françoise Salimov, qui a été mon agent durant dix ans et dont le soutien a été déterminant dans certains moments difficiles. Mais bien sûr ma plus belle rencontre est celle que j’ai faite avec l’homme de ma vie à l’occasion d’une tournée de l’École Florent en Australie. Il y a maintenant 32 ans.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Si seulement je savais « en quoi » ! Ce métier est certes passionnant, intense et merveilleux, mais je ne surprendrai personne en disant qu’il est semé de difficultés et parfois de frustrations. Et pourtant ce que je sais, c’est que si je reste trop longtemps éloigné d’un plateau je ne me sens plus tout à fait « vivant ». Ce que je dirais plutôt, c’est que ce métier est essentiel à mon « déséquilibre » vital.

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout m’inspire. De la plus pop des cultures aux chefs-d’œuvre des grands maîtres. Et ce dans tous les domaines. Mais je n’ai absolument pas un rapport volontaire à mes sources d’inspiration. Je me laisse littéralement attraper par ce que le hasard présente devant moi. Je crois à la coïncidence, à la conjonction heureuse qui dégage une ligne, un sens, que je peux intégrer à mon travail.

Stéphane Cottin - L'ami du Président - Lidon © Barbara Buchman Cotterot
Dans « L’ami du Président » de Félicien Marceau, mis en scène par Chrsitophe Lidon © Barbara Buchman Cotterot

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Moi qui suis plutôt agnostique j’ai un rapport à la scène de l’ordre du sacré. Bien que j’y passe une bonne partie de ma vie, une scène de théâtre reste pour moi toujours impressionnante. Je crois que je ne me départirais jamais de mon appréhension de jeune comédien qui se demandait s’il y avait véritablement sa place. Aussi parfois, quand une représentation semble bénie par les dieux du théâtre et que j’ai le sentiment d’être, dans l’instant, parfaitement à ma place, j’ai un immense sentiment de gratitude d’avoir le droit de vivre ça.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Sans hésiter cela à voir avec le souffle, la respiration. La scène me donne à respirer. Sans la scène j’ai une pierre lourde sur la poitrine, j’étouffe.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Plein ! Robert Lepage donc, ou encore Cyril Teste dont j’adore la forme théâtrale si particulière. Mais aussi des camarades comme Arnaud Denis ou Philippe Calvario dont j’apprécie particulièrement le travail. L’envie la plus immédiate est de concrétiser un projet avec Brice Hillairet, une autre formidable rencontre. J’ai une très grande admiration pour l’artiste qu’il est (foncez le voir dans Hedwig and The Angry Inch à la Scala, il y est époustouflant). Cela fait quelque temps que nous cherchons à nous rejoindre dans un projet commun. On y travaille…

Stéphane Cottin - Le dîner de cons - José Paul © Bernard Richebé, collection privée
Avec José Paul dans « Le dîner de cons  » de Francis Veber, mis en scène par Agnès Boury © Bernard Richebé, collection privée

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Sans hésiter une grande comédie musicale ! Tant à la mise en scène que sur le plateau. Sauf que pour le plateau, je n’ai malheureusement pas du tout le niveau ni en chant ni en danse ! J’admire d’ailleurs profondément les artistes complets qui en sont capables, comme Vincent Heden avec qui j’ai le bonheur de partager la scène en ce moment. Mais à la mise en scène, oui, je crois que je pourrai à peu près me débrouiller…

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Je dirais une tapisserie d’Aubusson. Pour l’instant je suis derrière, concentré sur chaque point qui la compose. Un jour peut-être je passerai devant pour voir à quoi ça ressemble… Plus tard… Pas tout de suite.


Belles de scène de Jeffrey Hatcher
Théâtre des Gémeaux Parisiens
15 rue du Retrait
75020 Paris
Du 4 décembre 2024 au 16 mars 2025
Durée 1h35

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