Comment s’est passée la fusion des deux salles de spectacle qui forment aujourd’hui le TANDEM Scène nationale ?
Gilbert Langlois : L’attelage a nécessité du temps pour se mettre en mouvement place, mais finalement tout s’est passé sans heurts et avec une relative facilitée. L’Hippodrome, que je dirigeais depuis 2006, était déjà labellisé Scène nationale, tandis que le Théâtre d’Arras avait un conventionnement d’État pour la musique. Ce dernier traversait au début des années 2010 quelques turbulences financières. Les deux entités n’étant séparées que de 24 kilomètres, l’idée, venue de la DRAC (ministère de la Culture) de les fusionner, n’avait rien d’insurmontable, d’autant qu’il était assez facile de mettre en place des moyens pour déplacer les publics d’un lieu à l’autre. Avec le recul, deux ans pour mettre en commun les deux scènes, cela a été assez rapide.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette idée ?
Gilbert Langlois : La nature même des deux lieux, très complémentaires, qui permettent une souplesse et un éclectisme dans les propositions que l’on peut programmer. Chaque lieu possède trois plateaux très différents. Certains ont une acoustique parfaite pour les concerts de chambre ou l’enregistrement d’albums, d’autres se prêtent plus au cirque et à la performance. Certaines salles sont petites et permettent une intimité, un lien avec le public, d’autres plus grandes se prêtent à des grandes formes de théâtre ou de danse.
C’est passionnant, car cela offre en termes de programmation une multitude de possibilités. Et puis il y a un accueil, une atmosphère assez chaleureuse, une dimension humaine qui plaît aux artistes et au public. Nous pouvons aussi accueillir des compagnies en résidence. C’est une vraie chance, dans ces temps de restrictions où il est de plus en plus difficile de créer dans de bonnes conditions de temps et de moyens.
Les bassins de population entre Douai et Arras sont assez différents. Comment fait-on pour trouver un équilibre entre les deux lieux ?
Gilbert Langlois : Quand je suis arrivé à la tête des deux lieux, j’ai tout de suite eu l’intuition qu’il ne fallait pas imaginer des projets distincts, mais bien un seul et même projet qui tienne compte des spécificités de chaque théâtre, qu’il soit bien défini avec des fidélités artistiques et une réelle capacité à innover. Il y a de facto une belle fluidité entre Arras et Douai avec les publics et les équipes. Le système est vertueux. Quand on a besoin à Douai des techniciens d’Arras, ils se déplacent sans difficulté et inversement. Par ailleurs, cela a permis de mutualiser les moyens et favoriser la part du budget consacré à la création. On y gagne sur tous les fronts.
Comment programmez-vous ?
Gilbert Langlois : C’est souvent une histoire de rencontre. Par exemple, Majnun, que nous avons accueilli en octobre, dans le cadre de notre focus sur les Regards d’Afrique. C’est au Rwanda, à la frontière avec le Congo, dans le cadre du Festival triennal de Kigali que j’ai découvert son travail. Tout de suite, ça été très intense. Son univers musical et vocal m’a immédiatement séduit, j’ai eu envie de l’inviter à présenter sa performance ici à Arras. Dans le cas de Milo Rau, par exemple, qui a présenté en amont d’Avignon en juin 2023, Antigone en Amazonie, c’est une histoire de fidélité artistique. Nous l’avons accompagné sur la plupart de ses créations. Avec de nombreux artistes que nous accueillons, un lien très fort se construit au fil du temps.
Pour la partie musicale, je travaille en complicité avec Aude Tortuyaux. Nous essayons aussi d’être au plus près du pouls de la création artistique, ce qui explique que nous programmons de plus en plus de formes hybrides qui croisent théâtre, danse et performance. Toutefois, l’axe fort de la programmation du TANDEM reste le théâtre dans sa diversité d’esthétiques. Et puis Cette saison, nous avons fait le choix de faire entrer dans nos murs les arts visuels.
C’est un nouvel engagement envers les artistes et un nouveau pari. Cela nous était déjà arrivé d’accueillir des formes performatives comme celles que peut proposer Miet Warlop, plasticienne de formation, mais nous n’avions pas encore imaginé de parcours spécifiques, comme c’est le cas cette saison avec Cécile Léna qui présentera Poste Restante du 22 avril au 15 mai 2025. Pour l’occasion, elle a reconstruit en miniature des petites stations, des maquettes et a imaginé une déambulation revisitant la grande aventure de l’aéropostale.
Cette saison, vous avez imaginé un focus intitulé Regards d’Afrique…
Gilbert Langlois : C’est un parcours de quatre spectacles africains qui explorent les histoires et les mémoires de ces pays et qui invite à la rencontre avec d’autres cultures, d’autres manières de travailler au plateau. L’idée de ce focus est née après avoir participé à la triennale de Kigali, où j’ai découvert nombre de jeunes artistes passionnants, et d’autres comme la chorégraphe Dorothée Munyaneza. Le plus important, est de créer à la fois des passerelles entre les générations et les conditions pour accueillir ces artistes en Europe. C’est notamment ce que j’ai souhaité faire avec Majnun, dont j’ai aimé la musique et le travail autour de la langue et des mots.
Votre programmation est très éclectique, que ce soit dans la forme et en discipline… mais vous avez aussi développé des formats itinérants ?
Gilbert Langlois : L’idée est d’amener le spectacle vivant dans des lieux où il va rarement, de démocratiser la culture et d’aller à la rencontre de nouveaux publics qui n’auraient pas forcément ni l’idée ni la capacité de pousser les portes d’un théâtre. Depuis plusieurs années, nous avons fait en sorte de mettre en place une itinérance dans les meilleures conditions possibles à travers le dispositif Rendez-vous chez vous. Le plus souvent, nous confions ces formes plus légères à des artistes que nous accueillons dans la saison. Nous nous efforçons sur ces projets de privilégier les propositions exigeantes tant sur le fond que la forme, des propositions qu’on aurait tout à fait pu programmer en salle. La mobilité des œuvres et des gens est au cœur de ce dispositif.
Pour cela des coopérations sont mises en place avec le Conseil départemental du Pas-de-Calais et le Conseil départemental du Nord. il faut donc travailler avec les deux conseils généraux, les convaincre de l’utilité de ce dispositif. Sans leur aide, les lieux qui nous accueillent n’en auraient souvent pas la capacité financière. Cette année, nous défendons six formes itinérantes. Nous espérons également donner envie à ces mêmes spectateurs, de venir découvrir une autre fois au Théâtre d’Arras ou à l’Hippodrome de Douai, d’autres œuvres.
Vous avez aussi un volet international dans votre saison ?
Gilbert Langlois : C’est important de permettre la circulation d’œuvres et d’artistes venant d’autres pays, d’autres continents, d’autres cultures. Cela permet de découvrir d’autres récits, d’autres esthétiques et d’autres manières de travailler. Le théâtre à travers les textes permet aussi d’entrer différemment dans l’histoire d’un pays. Nous avons vécu des expériences vraiment extraordinaires. Par exemple avec les artistes irakiens, que j’ai découverts lors d’un voyage. Ces artistes produisent des œuvres puissantes et rares. Je me souviens d’une troupe qui travaillait autour d’Hamlet de Shakespeare.
L’équipe travaillait au cœur de Bagdad, dans les ruines d’un ancien ministère, bombardé pendant la guerre. Elle s’était plus exactement installée dans une cour intérieure, avait tendu quelques draps et improvisé un espace de travail. On était une vingtaine à assister à leur travail. C’était un spectacle suspendu et puissant avec des femmes artistes au plateau. Nous avons ensuite accueilli ces artistes au Théâtre d’Arras. Un de leurs rêves était de rencontrer Ariane Mnouchkine. Ils ont été reçus à la Cartoucherie de Vincennes pendant toute une matinée… on a réussi à leur obtenir un rendez-vous. La magie du théâtre, c’est aussi de réussir l’improbable et de le partager sur un plateau.