Au centre de la salle, entouré de deux gradins et deux rangés de néons, un tatami orange, sera tour à tour arène, ring et alcôve. Les spectateurs se font face et s’observent, les lumières crépitent. Le silence. Dans des coulisses improvisées, deux silhouettes s’activent. L’une monte sur l’autre avant d’entrer en piste. Corps musculeux et athlétiques, les deux circassiens harnachés de cuir, Arno Ferrera et Gilles Polet, font un tour de chauffe. Monture et cavalier caracolent. Clairement, l’un domine l’autre et le dirige. Le premier fait le beau, le second joue le destrier sexy et asservi.
Jeux de mains, jeux de vilains ?
Ici tout est show et consenti. S’amusant avec les codes d’une virilité exacerbée, les deux artistes jouent la carte d’un sadomasochisme tout relatif, le décalé et le sensuel l’emportant sur la violence et les larmes. Muscles bandés, tels des gladiateurs, ils se montent dessus, se claquent les fesses, se tournent autour pour mieux s’empoigner, s’étreindre et s’embrasser. Les mains baladeuses de l’un viennent titiller l’autre, qui, chauffé à blanc plaque, au sol cet adversaire autant craint que désiré.
Dans cette arène des temps modernes, seuls les préjugés sont mis à mort. Amitié, amour, complicité, volupté et lascivité sont portées aux nues. Oscillant en permanence entre combat de coqs et parade sexuelle, Arno Ferrera et Gilles Polet déplacent les regards et, à leur petite échelle, tentent de faire évoluer les mentalités. Si les rires sont gênés au début, très vite, l’ambiance monte de quelques degrés. Les corps luisants de sueur des deux artistes, ainsi que leurs doux regards échangés n’y sont clairement pas pour rien.
Des regards qui en disent long
Présenté en deuxième partie de soirée, après un duo féminin, plus glamour que « testostéroné » et avant leur nouvelle création Armour, les 13 et 14 décembre prochain, Cuir touche avec ingéniosité à la sacro-sainte masculinité. Arno Ferrera, qui a créé le rôle avec Mika Lafforgue, remplacé en tournée par le performeur et chorégraphe belge Gilles Polet, déjoue sans vergogne et avec beaucoup d’autodérision les stéréotypes de genre. Danse érotique, slow burlesque sur un air d’Adamo venu d’Asie, domptage en règle ou match de catch improvisé, tout est fait pour embarquer le public dans une folle farandole, où le dominé n’est pas celui que l’on croit, où l’homme, comme le dit si bien le titre du film de Jean-Jacques Zilbermann, est une femme comme les autres.
Au-delà de sa beauté plastique et de son esthétisme queer, le spectacle imaginé par Arno Ferrera vaut tout particulièrement par son jeu de regards intenses et littéralement charnels. Tout se joue les yeux dans les yeux. Pétillants, charmeurs ou bagarreurs, ils disent tellement plus que les gestes. Dans cette lutte acharnée du pouvoir, pas de vainqueur, pas de perdant, comme dirait Marivaux, c’est, par K.O ex æquo, le triomphe de l’amour !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Arras
Cuir d’Arno Ferrera – cie Un loup pour l’homme
création Octobre 2020
Théâtre d’Arras
Tandem scène nationale
7 place du théâtre
62000 Arras
les 10 et 11 décembre 2024
Durée 40 min
Tournée
22 janvier 2025 à L’Azimut, Pôle National Cirque, Anthony (FR)
6 février 2025 au Cultuurcentrum Hasselt (BE)
27 mars 2025 au Kiosque, Mayenne (FR)
11 avril 2025 à Un genre de festival, Gindou (FR)
Créateurs – Arno Ferrera, Mika Lafforgue et Gilles Polet
Direction artistique d’Arno Ferrera
Interprètes Arno Ferrera et Gilles Polet
Regard extérieur – Paola Rizza
Regard chorégraphique – Benjamin Kahn, Gilles Polet
Regard sonore – Amaury Vanderborght
Création lumière de Florent Blanchon
Régie lumière et son – Pierre-Jean Faggiani
Artisan sellier ) Jara Buschhoff
Conception costumes – Jennifer Defays
Teaser de Cuir d’Arno Ferrera © Dr
