Chaleureux et rayonnant, Calixto Neto fait partie de ces êtres habités d’une belle lumière intérieure. La voix douce, que son accent brésilien rend musicale, un sourire franc et communicatif, complètent ce portrait d’un artiste rare et simple, qui a définitivement la danse dans la peau. « Ma mère, ma sœur ainée ont été danseuses. Dans l’état du Pernambouc, où j’ai grandi, il y a une tradition du mouvement et de l’expression corporelle. C’est endémique, tout le monde danse. » Pourtant, enfant et adolescent, c’est le théâtre qui passionne l’artiste en herbe.
À l’université, il poursuit sa formation en art dramatique, mais très vite, le besoin de s’approprier son corps, de se sentir à l’aise avec lui, le ramène vers la danse. « J’ai pris conscience du besoin que j’avais de me mouvoir, de danser, de pratiquer physiquement un art. Même si dans ma région, il n’y a pas de conservatoire dédié à cette discipline ou de formation académique, j’ai commencé à prendre des cours dans des studios et pratiquais également des danses traditionnelles. »
La danse viscéralement
Parallèlement à sa pratique, il découvre le travail de Lia Rodrigues, et de nombreux artistes brésiliens, qui se produisent à Recife. « Il y a une effervescence créatrice dans mon pays, que ce soit à Rio, à São Paulo ou dans ma ville natale. Très vite, à cette époque, je me suis rendu compte que j’étais plus attiré par les productions chorégraphiques et performatives que théâtrales. Il y avait en tout cas quelque chose dans le geste créatif des chorégraphes qui résonnait plus fort en moi. »
Rare garçon à pratiquer, il est le centre des attentions. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. « Je me sentais valorisé. Il y avait une forme de désir réciproque, qui me plaisait beaucoup. Cela m’a séduit, bien au-delà, des projets que j’avais et de l’idée que je me faisais ce métier. » Loin du chemin qu’il avait imaginé, Calixto Neto fait de la danse le pilier de son existence. Après un appel d’une amie danseuse, il déménage à Rio de Janeiro et intègre la Compagnie de Lia Rodrigues.
La vie de troupe
On est en 2003. La chorégraphe présente, à Recife, Ce dont nous sommes faits. « À ce moment-là, j’ai un grand appétit pour les nouvelles formes. C’était d’autant plus intriguant qu’il y a, à cette époque tout du moins, une belle dynamique de circulation de spectacles. Je me nourris de toutes ces œuvres. Le travail de Lia me touche particulièrement. Alors quand j’apprends que deux de ses danseurs sont sur le départ, je fonce. D’abord comme stagiaire volontaire, ce qui me permet de prendre des cours et de suivre les créations de la troupe, puis, un an plus tard, j’intègre la compagnie. » Six ans durant, il est de tous les spectacles, découvre l’Europe.
Un nouveau départ
Insatiable, avide de connaissances et de découvrir le monde, Calixto Neto quitte la troupe et s’envole pour l’Europe, destination Montpellier. « À ce moment de ma vie, je me posais plein de questions. J’avais besoin de recadrer ma pratique, de me retrouver et de me ressourcer. Je suis plutôt autodidacte. J’avais très envie de reprendre mes études, de m’inscrire à un master. Deux amis, Ana Pi et Thiago Granato m’ont parlé de la formation Exerce au Centre chorégraphique de Montpellier. Lors d’une tournée, j’ai pu découvrir l’endroit. Cela m’a plu. J’ai postulé et j’ai été pris. »
Pour l’artiste, ces deux années dans la cité montpelliéraine, ont été vécues comme une expérience, une manière de se confronter à lui-même, ainsi que sa façon de s’exprimer sur scène. « J’avais le sentiment d’un manque. La formation m’a permis de diriger mes envies et d’affiner ma démarche artistique. Cela m’a donné un projet, d’aller notamment vers l’écriture et les échanges avec le public. Le côté interactif du spectacle vivant me fascine. »
Des rencontres et des inspirations
Si Lia Rodrigues marque une importante étape dans la danse professionnelle, Calixto Neto se nourrit des rencontres qui émaillent son existence. Danseurs, danseuses, chorégraphes alimentent sa pratique. « Je n’ai pas eu de véritable formation contemporaine ou classique, j’ai appris aussi au contact des autres. Mônica Lira, Carlos Simioni, Micheline Torres, les maîtres des danses traditionnelles de mon état sont des artistes que j’admire et qui m’ont permis de grandir. Certain.e.s sont devenus des ami.e.s, des phares de sagesse pour moi, comme Ana Pi, Wagner Schwartz ou Luiz de Abreu, qui m’a énormément marqué en 2004, quand je l’ai vu danser O Samba do Crioulo Doido, et avec qui j’ai eu le plaisir de collaborer plus tard dans la reprise de cette même pièce, en 2020. Tous ces artistes m’ont ouvert de nouveaux horizons. »
Curieux, passionné, Calixto Neto se laisse traverser par ses visites aux musées, ses lectures. « Je suis de plus en plus attiré par les arts visuels, par la peinture et par les installations. Quand je commence une création, je collecte ainsi différents matériaux, des photos que j’ai prises d’œuvres d’art ou récupérées sur les réseaux sociaux, des textes, différents objets, qui me servent de référence. Je réunis ainsi autour de moi des familles, des univers artistiques avec lesquels je dialogue. C’est très intuitif. »
Il Faux, la peur et le dédoublement
Tout commence par une lecture. Ghyslaine Gau, danseuse à Montpellier et amie avec laquelle il a plusieurs fois collaboré, lui offre, Entre le monde et moi de l’écrivain afro-américain Ta-Nehisi Coates. « Le texte est une lettre qu’il adresse à son fils qui va bientôt avoir quinze ans. Il y exprime sa peur de voir disparaître son corps face au danger du monde moderne et tout particulièrement dans la banlieue pauvre de Baltimore où il a grandi. Il y évoque son enfance, les violences policières, les gangs qui gangrènent les quartiers. La première partie, où il parle de lui, m’a profondément touché. Je me suis identifié à ses angoisses, ce risque de se voir effacer, de tomber. Le fait d’être toujours en alerte est née l’idée de créer un autre soi, un double, un corps autre qui peut vivre dans ce monde, contrairement au corps originel, de mettre un masque. »
À partir de cette dissociation de l’être, Calixto Neto a imaginé les grandes lignes de sa dernière création. Faisant le parallèle entre une pratique chère à la danse – le corps qui se décompose en plusieurs entités autonomes – et une sensation réelle, l’artiste a conjugué la grammaire chorégraphique à celle d’autres disciplines comme la ventriloquie et la marionnette. « Je me suis aussi inspiré du travail de Maxwell Alexandre, un peintre qui est Né à Rocinha, l’une des plus grandes favelas de Rio de Janeiro. Il a notamment créé une série de peintures – Pardo é Papel – sur papier kraft qui a irrigué toute la première partir d’Il Faux. »
Par ailleurs, s’intéressant justement à la manière dont on désigne le papier kraft en brésilien, papel pardo, en référence à une catégorie ethno-raciale, celle des « pardos », qui désigne celles et ceux qui sont entre le blanc et le noir, mais qui ne peuvent surtout pas être blancs, il imagine un travail autour de la notion d’appartenance et de discrimination. Comment exister et ne pas s’effacer quand on n’est pas blanc…
Bruits marrons
Artiste associé de Points-Communs, Calixto Neto prépare deux nouveaux projets, l’un sera une pièce de groupe, Bruits Marrons, l’autre un duo avec une de ses collaboratrices, sur d’autres projets, Acauã Shereya. « Le premier est né de ma rencontre avec un morceau de musique de Julius Eastman, Evil Niger. Elle parlera de communauté et de comment organiser la rage. Le second projet aura lieu au CCN de Grenoble, autour de la technique de la débrouille à la brésilienne, « la gambiarra ». Cela consiste à réparer avec les moyens du bord, c’est une philosophie aussi, une forme de sagesse qui permet d’avancer. »
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Il Faux de Callisto Neto
Points communs dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Théâtre 95
1 place du Théâtre
95000 Cergy
du 3 au 5 décembre 2024
Durée 1h10 environ
Chorégraphie et interprétation – Calixto Neto
Collaboration artistique – Ana Laura Nasclmento & Carolina Campos
Conseil artistique – Lutz de Abreu
Création lumière – Eduardo Abdala
Création son – Chaos Clay
Décor et costumes – Rachel Garcia
Régie générale pour la création – Emmanuel Fornès, Régie générale et lumières pour la tournée – Marie Prédour, Régie son pour la tournée – Marie Mouslouhouddine