Cyril Le Grix - SNMS © Lucas Delorme
Cyril Le Grix aux assises de Lille en septembre 2024 © Lucas Delorme

Aux assises du SNMS, l’avenir de la mise en scène en question

De septembre à la journée de clôture prévue en janvier, les journées d'assises lancées par le syndicat de metteurs en scène voient se réunir des centaines d'artistes pour échanger sur les transformations nécessaires de leur métier.

« À quoi ça sert de jouer de la musique quand le Titanic est en train de couler ? » Quand la question jaillit, c’est comme une petite ritournelle silencieuse qui, soudain, se met sur haut-parleur. Dans un chaos politique sous-tendu par la montée de l’extrême-droite, et au bout d’une année où les collectivités annoncent des coupures inédites dans les subventions accordées à la culture, mettant à mal les fondations de notre modèle de création, parfois par pure idéologie, comme c’est le cas en Pays de la Loire, à quoi bon prendre le temps de parler de mise en scène ? Lorsque trois des participants exposent cette interrogation, au beau milieu d’un des ateliers qui occupent les après-midi de chacune des dix journées des assises du SNMS, un petit moment de flottement s’impose, vite dissipé par la reprise des discussions.

Aux assises, on est plutôt d’avis que renoncer, c’est capituler. « Cette angoisse existentielle nous traverse tous », explique l’une des membres de l’organisation. « Mais les assises ont vocation de rassembler la profession. On ne peut réagir aux coups de butoir portés contre les artistes qu’à la condition d’être rassemblés. »

De septembre à décembre, avant une journée de clôture prévue en janvier, les assises de la mise en scène ont donc vu défiler des centaines de professionnels dans huit villes de France — à quoi se sont ajoutées deux rencontres en visioconférence pour les territoires ultramarins. Lancées sous l’impulsion de Cyril Le Grix, à la tête du syndicat qui fêtait ses 80 ans en 2024, les journées visent à rassembler les artistes face aux menaces réelles qui pèsent sur le secteur, et engagent un questionnement d’une ampleur inédite. À Rennes, Paris, Strasbourg, Marseille ou Poitiers, de longues journées de travail et d’échange ont lieu, dans une ambiance à la fois studieuse et volubile.

Entre deux cafés, au sein des ateliers tenus dans les salles de théâtres associés, les participants mettent leur métier sur le métier. Ils sont divisés en groupes de travail autour de trois thématiques : la trajectoire et le parcours artistique ; le processus de l’artiste au travail ; la responsabilité de l’artiste vis-à-vis des enjeux sociétaux et des urgences du présent. Des schémas de visualisation et des tableaux à post-it servent de support méthodologique.

Si la méthode managériale dans une assemblée d’artistes a quelque chose du mariage de la chèvre et du chou, l’un des enjeux est justement d’affirmer la mise en scène comme un travail (presque) comme les autres, avec ses processus, ses risques et ses conditions de réussite. Le « succès » de l’œuvre fait d’ailleurs partie des choses mises en question pendant ces journées. On débat sur les critères : la progression artistique à l’échelle de la carrière, au-delà du succès ponctuel d’une œuvre ; la joie et le bien-être de l’équipe de travail ou une certaine ampleur de diffusion.

D’une ville à l’autre, ces consultations permettent de dresser un état des lieux des besoins de la profession. Et dessinent, à l’échelle du pays, une sismographie des questionnements actuels qui la traversent. Un problème récurrent revient, celui de la temporalité dans la recherche et la création : pas assez de temps pour chercher, une focalisation des aides sur les projets, et donc une contrainte à produire trop souvent, trop vite, sans prendre le temps. Autre interrogation, celle de la formation. À Lille, dans une des petites salles du théâtre, « Non, ce n’est pas pendant la formation que l’on apprend à mettre en scène », avance l’une. « On en a marre de sans cesse devoir élargir le champ de nos compétences », ajoute un autre, faisant référence aux injonctions croissantes de s’occuper d’autre chose que de création.

« Si on venait à disparaître, à qui manquerait-on ? », se demande, alerté, Fabien Aîssa-Busetta de la compagnie marseillaise Organon Art Cie, qui travaille notamment avec les habitants du quartier de la Belle de mai, au plus haut taux de pauvreté de la Cité phocéenne. « On se gargarise de l’égalité sur les plateaux, mais quid de l’égalité dans la salle ? » poursuit l’artiste dans le hall du Théâtre du Nord, épaulé par sa partenaire de création, Valérie Trébor. Les réponses n’apparaissent pas par magie, mais ces interrogations quant à la porosité du travail des metteurs et metteuses en scène vis-à-vis de nécessités politiques est régulièrement soulevée au sein des Assises, jusqu’à en faire un enjeu central du questionnement.

Réunis, comme cela arrive peu, en corporation, les metteurs et metteuses en scène démentent aussi les préjugés d’une classe artistique déconnectée du monde. Et souvent, l’idée de « joie » revient dans les échanges. « C’est assez rare pour les artistes de pouvoir discuter entre eux », explique Stéphane Fiévet, directeur des Assises. « Les metteurs et metteuses en scène témoignent du sentiment d’appartenir enfin à une corporation. Le but, c’est qu’au bout de ce chemin, on sache ce qui fait commun entre nous. » Éléments de réponse le 20 janvier 2025, pour la journée de conclusion prévue au CNSAD, à Paris.


Assises nationales de la mise en scène
SNMS – Syndicat national des metteurs en scène
Journée conclusive le 20 janvier 2025

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