Comment les pratiques circassiennes sont-elles entrées dans vos vies ?
Arno Ferrera : Ma discipline, au début, c’est la gymnastique, mais je me suis formé au théâtre physique. J’ai toujours voulu situer ma pratique au croisement des arts vivants. Il y a une quinzaine d’années, la danse contemporaine belge était en pleine effervescence. Je trouvais cela passionnant, je me suis donc installé à Bruxelles pour développer ma pratique dans cette discipline. Il y a un peu moins de dix ans, j’ai découvert le monde du cirque quand Alexandre Fray, l’un des co-fondateurs de la compagnie Un loup pour l’homme, m’a proposé une reprise de rôle pour le spectacle Face Nord. Puis en 2017, j’ai participé à la création de Rare Birds. En 2020, il m’a délégué la direction artistique d’une nouvelle production. Cuir était né. Ce qui m’intéresse tout particulièrement, c’est l’hybridation pluridisciplinaire que le cirque nouveau permet. Accueillir d’autres langages qui viennent de la danse, de la performance, nourrit notre écriture avec Gilles.
Gilles Polet : J’ai commencé le cirque quand j’avais huit ans, mais j’ai arrêté assez vite, à treize ans. J’avais plutôt envie d’aller vers le théâtre. Jusqu’à mes dix-huit ans, je me suis formé à cet art dans une école spécialisée. Je me suis ensuite dirigé vers la danse, d’abord à Leeds en Angleterre à la Northern School of Contemporary Dance, puis durant quatre ans à Bruxelles, où j’ai suivi l’enseignement de P.A.R.T.S, l’école créée par Anne Teresa de Keersmaeker. Mes études terminées, j’ai travaillé autant comme performeur que danseur et comédien. Le cirque est revenu dans ma vie, quand Arno m’a demandé de le rejoindre sur la tournée de Cuir, en remplacement de Mika Laforgue. C’était étrange, car c’était une période de ma vie, où j’avais arrêté depuis deux ans la performance et je ne pensais pas y revenir. Je n’ai pas pu refuser la proposition d’Arno, car cela faisait longtemps que nous avions envie de travailler ensemble. C’était enfin l’occasion.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Gilles Polet : À Bruxelles, grâce à des amis communs. On a longtemps été potes, puis on se retrouvait régulièrement pour des séances de recherche en studio.
Arno Ferrera : Gilles travaillait notamment sur les états de transe. C’est un domaine qui m’intéressait beaucoup, notamment dans mon envie d’explorer le corps-à-corps au plateau et l’engagement physique poussé à son maximum. En le voyant sur scène, je me suis dit qu’il serait intéressant de partager nos savoirs-faire et de croiser nos disciplines pour explorer au plateau l’état de conscience altérée. Dans un premier temps, c’était pour le plaisir, puis l’envie de collaborer est devenue plus présente. Quand il a fallu trouver un remplaçant à Mika, ça était une évidence qui ne s’est jamais démentie.
Vous avez créé votre compagnie ?
Arno Ferrera : Non, pas du tout. Cuir est né au sein de la compagnie Un Loup pour l’homme, mais nous avons eu besoin, pour poursuivre l’aventure, de nous émanciper afin imaginer notre propre langage et d’explorer celui de notre esthétisme. Nous sommes maintenant soutenus par Les Halles de Schaerbeek, qui porte en production déléguée l’ensemble de nos projets. Nous souhaitons, avec Anaïs Longiéras à la diffusion et Pierre-Jean Faggiani à la technique, être porteurs de projets et défendre ensemble au plateau des thématiques qui nous tiennent à cœur.
Gilles Polet : Nous n’avons en effet pas envie de fonctionner comme une compagnie. Nous avons tous fait partie de ce type d’organisation et nous voulions juste nous rassembler autour de certains projets.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de poursuivre l’aventure et de créer ensemble Armour ?
Gilles Polet : Notre entente et notre complicité. Nous convergeons sur notre manière de travailler et celle de nos démarches artistiques et créatives.
Arno Ferrera : Il y a des thématiques communes qui nous animent, des fils rouges qui irriguent Cuir et Armour, comme l’engagement corporel d’un côté et l’amour de l’autre. Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur la manière de transformer la violence, particulièrement celle qui est incarnée par des corps masculins.
Gilles Polet : Nous avons tous d’une manière ou d’une autre subi des violences, qu’elles soient psychiques, physiques ou sexuelles. Nous n’avons pas envie de juste transposer cela sur scène, mais davantage envisager une manière de la transformer. Que ce soit clair, la pièce n’est pas une thérapie, mais plutôt une façon d’en parler et de trouver comment transformer cette agressivité et de cette brutalité du quotidien.
Arno Ferrera : Les deux pièces sont assez différentes. Cuir est un duo, Armour un trio. Cela change tout, car elle évoque une forme d’amour multiple. Comment trouver un équilibre quand on est trois ?
Comment avez-vous recruté Charlie Hession, le troisième artiste de l’aventure ?
Gilles Polet : C’est un collègue qui nous l’a présenté. Il savait que l’on cherchait un autre performeur pour notre prochaine création. L’entretien s’est fait par zoom. Ça a marché tout de suite. Son univers correspondait à ce que nous cherchions. Bien qu’il soit circassien, il pratique aussi les arts martiaux, la boxe et le shibari – art japonais du bondage. Il était en accord avec notre façon d’aborder les violences masculines au plateau. La rencontre nous a confirmé que c’était la bonne personne pour le trio d’Armour.
Vous aimez beaucoup le mélange des genres…
Arno Ferrera : Oui, c’est l’un de nos axes de recherche artistique. Si nous sommes vêtus de harnais de cuir dans Cuir, nous portons des tenues de lutteurs colorées dans Armour. Ce choix d’une colorimétrie très assumée fait partie du projet. Nous avons étudié avec Anthony Merlaud à la lumière et Kasia Mielczarek aux costumes comment rendre au plateau un panel de teintes faisant penser à un coucher de soleil et à l’aube afin de suggérer dans l’inconscient des spectateurs la fin d’un cycle et le début d’un autre. Par ailleurs, nous avons avec ce nouvel opus travaillé un rendu plus érotique, plus suggestif. Armour s’adresse principalement à un public adulte.
Gilles Polet : Nous allons plus loin dans notre jeu avec les codes, notre manière de les détourner. Nous explorons de façon plus assumée les univers sadomasochistes, les univers « kink » et ceux du Shibari. C’est clairement plus explicité, ou du moins plus reconnaissable pour le public.
Arno Ferrera : Nous brouillons en permanence les pistes entre masculinité exacerbée et le désir de rompre avec les injonctions mainstream. C’est à la fois sportif et sensuel. Nous passons en permanence d’une temporalité à une autre, en évoquant autant la symbolique des Trois Grâces que celles des backrooms. Mais tout se joue finalement dans le regard du public.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Armour d’Arno Ferrera et Gilles Polet
spectacle créé le 6 avril 2024 à Cherbourg-en-Cotentin dans le cadre du Festival Spring
Tournée
13 et 14 décembre 2024 au Tandem Scène Nationale
24 janvier 2025 à KLAP maison pour la danse dans le cadre de la BIAC – Biennale Internationale Des Arts Du Cirque
31 janvier au 2 février 2025 au Plongeoir, Le Mans
14 février 2025 à Latitude50, Marchin (BE)
6 mars 2025 à Culture Commune, scène nationale, Loos-en-Gohelle
11 et 13 avril 2025 à Un genre de festival, Gindou
18 au 20 avril 2025 à La Piste aux Espoirs, Tournai (BE)
19 au 20 mai 2025 au Théâtre 71 / Malakoff Scène Nationale
23 et 14 mai 2025 au Festival Jogging – Le Carreau du Temple
5 et 6 juin 2025 au Théâtre l’Aire Libre, dans le cadre du Festival AY-ROOP, St-Jacques de la Lande
Conception artistique – Arno Ferrera et Gilles Polet
Conception technique – Pierre-Jean Pitou Faggiani
Développement – Anaïs Longiéras
Auteurs / performers – Arno Ferrera, Gilles Polet et Charlie Hession
Support dramaturgique – Bauke Lievens
Support mise en scène – Renée Corpraij
Regards – Gaia Saitta, Matthieu Goeury
Regard acrobatique – Frédéric Arsenault
Création lumière – Anthony Merlaud
Création son – Raphaëlle Latini
Costumes -Kasia Mielczarek
Construction Ferronerie – The Jof Company
Video – Nicky Lapierre
Arrangement chant – Justine Bourgeus