Comment vous êtes-vous rencontrés avec Mijal Natan ?
Hillel Kogan : Je voulais sortir de ma bulle artistique et aller sur des terrains qui m’étaient inconnus afin d’interroger ma pratique et mon identité chorégraphiques. Ce travail sur l’identité irrigue mon travail depuis longtemps. Qu’est-ce que cela signifie d’être catégorisé danse contemporaine ou danse folklorique ? En quoi l’une est plus populaire que l’autre ? D’où viennent ces archétypes et ces distinctions ? En faisant un tour d’horizon de ce qui se pratique en Israël, je me suis rendu compte qu’il y avait une scène très vivante de Flamenco. Je me suis donc interrogé sur la raison d’une telle présence dans un pays assez éloigné de l’Espagne. Et pour mieux appréhender cette pratique, j’ai décidé de prendre des cours. C’est ainsi que j’ai rencontré Mijal, lors de ses workshops. J’ai eu un vrai coup de foudre pour cette danse très rythmée, très précise.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Hillel Kogan : J’ai découvert une danse qui m’a totalement intéressé que ce soit historiquement ou artistiquement. Par ailleurs, par les différents courants qui traversent le flamenco, ses origines gitanes, cela venait résonner avec mes propres interrogations sur l’identité. Tel un touriste, je suis parti visiter la planète flamenco. C’est d’autant plus passionnant que c’est un terrain qui est très éloigné de ma propre pratique de la danse. Je n’ai pas été au bout de mes surprises, tant il y a de distinctions et de techniques. Contrairement à la danse contemporaine, qui est finalement assez transparente, le flamenco est ancré dans la terre et dans un pays, l’Espagne.
C’est ce qui vous a séduit ?
Hillel Kogan : Le fait que je sois très éloigné de cette pratique, me permettait une liberté d’expression fascinante. C’est un peu comme mettre un masque, qui désinhibe et permet toutes les audaces. Cela m’a permis d’aborder la question de la douleur et de mon appartenance au judaïsme avec une pointe d’ironie. Grâce à cette balade en terre flamenco, j’ai pu aborder des sujets politiques, comme l’indépendance de la Catalogne ou ce que véhicule comme message une danse aussi identifiée et identifiable. Finalement, dans les creuxet les interlignes, je parle aussi de moi, de mon identité juive sans vraiment que ce soit explicite.
Que ce soit dans We love arabs ou de THISISSPAIN, vous vous amusez à déconstruire les identités toutes faites ?
Hillel Kogan : La question de l’identité est toujours la base de nos vies quotidiennes, de nos guerres, de nos souffrances et de nos conflits intérieurs autant qu’extérieurs. Je pense que s’il y a un message caché dans mes pièces, c’est que du sang, est du sang. Sa provenance n’a pas d’importance. Tous se valent. C’est quoi qu’il en soit un drame que l’on soit juif, arabe, gitan ou catalan. Ce qui m’intéressait en allant sur le terrain du flamenco, c’est d’oser la question, n’étant pas espagnol, suis-je autorisé à pratiquer cette danse ? En filigrane, bien sûr, cela interroge la notion d’être juif, européen ou arabe. Est-ce que cela signifie quelque chose ? Dans mes spectacles, je prends le parti d’utiliser l’amusement pour interroger ces grandes questions sociales et philosophiques.
À la manière d’un clown ?
Hillel Kogan : Oui. En règle générale, quand on parle du conflit israélo-palestinien, la tristesse, la mélancolie, la rage, la souffrance prennent le pas sur tout le reste. Ce qui est compréhensible. Mais nous sommes au théâtre, nous n’avons d’autres armes que les mots et les gestes. L’humour et l’ironie sont comme des armures, des protections qui permettent de désamorcer la tragédie tout en évoquant des choses sérieuses.
Pourquoi ce chemin décalé ?
Hillel Kogan : Comme vous l’évoquez, je suis un clown de la danse, un stand-upiste du mouvement. J’ai besoin du texte pour m’exprimer et manipuler le public. Je passe par l’abstraction pour faire passer mon message. Contrairement à la danse qui joue sur l’imaginaire, le texte est un élément essentiel de mes spectacles, et c’est extrêmement concret. La danse ouvre, le texte ferme. Cela me permet d’être plus direct. Dans THISISSPAIN, tout le travail fait avec Mijal a été de déconstruire le flamenco, d’en utiliser les codes pour mieux les détourner. Contrairement à Israël Galvan qui travaille cette pratique du dedans, j’en suis totalement extérieur. Il y a un côté exotique pour moi. Et c’est cela que l’on a creusé comme fil rouge. J’agis un peu comme un appropriateur culturel. Et toute la question est : En ai-je le droit ?
Vous vivez à Tel-Aviv, quel est votre ressenti par rapport à la situation actuelle ?
Hillel Kogan : La pièce a été créée en 2022, bien avant le 7 octobre. Quand il a été question de la rejouer, je me suis posé la question d’en modifier le contenu et s’il fallait plus concrètement parler de la situation actuelle. J’ai fait un choix artistique de ne rien changer. C’est très complexe et compliqué ce qui se passe aujourd’hui. J’appartiens à un peuple qui se voit envictime comme en prédateur. Notre quotidien en Israël, c’est la guerre. Des missiles pleuvent tout le temps, quand tu te promènes ou en prenant un café. Pour moi danser, être sur scène, est une échappatoire, qui m’emmène ailleurs loin de tout cela. Tout cela me fait peur et m’effraie. Je n’ai pas d’autre message que les propos de la pièce. Et la guerre y est déjà présente.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
THISISSPAIN d’Hillel Kogan
Théâtre du Rond-Point
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Du 5 au 17 novembre 2024
Durée 1h10
Reprise
20 novembre 2024 au Théâtre de l’Hôtel de Ville du Havre dans le cadre du Festival Plein Phare organisé par Le Phare – CCN Le Havre Normandie
Chorégraphie Hillel Kogan
Interprète(s) Hillel Kogan Michal Natan
Régisseur général Nicolas Priouzeau
Dramaturge Yael Venezia
Lumières Nadav Barnea
Traduction Noémie Dahan