Le poète Christian Bobin écrit : « L’émerveillement, c’est la capacité enfantine de s’arracher à la terreur du monde »…
Sylvain Groud : Même s’il dénonce les maux de la société dans laquelle il vit, même s’il prémédite les drames, même s’il les souffle à l’oreille des citoyens avant qu’ils ne s’en rendent compte, je crois qu’un artiste reste toujours mu par une sorte d’optimisme fondamental. Cette énergie du mouvement est forcément constructive. Dans cette pièce, il était essentiel pour moi de me sentir aligné en tant qu’homme, père, citoyen, chorégraphe, danseur, directeur d’une structure labellisée ministère de la Culture et présente dans une ville comme Roubaix.
Depuis quand réfléchissez-vous à ce Banquet des merveilles ?
Sylvain Groud : Depuis deux ans, mais en fait depuis beaucoup plus longtemps. Cette pièce réunissant au plateau danseurs et musiciens s’est construite à partir de toutes ces années d’expériences, d’anecdotes, de sensations foudroyantes ressenties lors de spectacles ou d’ateliers, de rencontres, de moments spontanés nés autour du projet CCN & Vous. C’est tout ce travail entrepris auprès de tant de publics différents qui se retrouve au plateau.
Les préoccupations actuelles de notre monde contemporain ont-elles présidé à la création de cette pièce ?
Sylvain Groud : Que peut-on entreprendre face au moment présent que nous traversons tous, à ces peurs essentielles, à ces atrocités du monde qui se rapprochent de nous, à ces pays qui n’ont de cesse de fabriquer des murs de plus en plus hauts et des lois de plus en plus restrictives ? On peut se donner rendez-vous pour un banquet des merveilles qui n’est pas un repas, mais une réunion, une promesse collective de réenchantement et d’émerveillement. La faculté de l’artiste est de provoquer le beau à l’endroit du pire, de transposer poétiquement le chaos.
L’émerveillement requiert de l’attention. Ce qui qualifie un artiste, est-ce sa présence à l’autre ?
Sylvain Groud : Comme le dit Albert Jacquard, « se rencontrer soi nécessite un détour par l’autre ». Depuis mon arrivée au CCN, j’ai entrepris un travail auprès du tissu associatif roubaisien. Je vais seul ou avec des danseurs dans les hôpitaux, en prison, dans les centres de premiers secours à la rencontre de populations âgées, isolées, exilées, déclassées… Ces invisibles sont confrontés à l’adversité, sont parfois dans un désarroi absolu mais au lieu d’y répondre avec âpreté ou esprit de revanche, ils gardent cette capacité à s’ouvrir à l’inattendu, au merveilleux.
Ces rencontres sont guidées par l’envie d’emmener ces publics vers le théâtre alors qu’ils pensent souvent que « cela n’est pas pour eux »…
Sylvain Groud : Exactement ! L’idée est de faire comprendre qu’artistes et publics, nous formons une communauté de personnes réunies pour partager un moment. Renouer avec une notion d’hospitalité que nous avons perdue. Les publics éloignés n’ont pas conscience qu’un artiste au plateau ne fait que raconter des histoires. Et que ces récits peuvent parler à chacun de nous. C’est aussi la force de la danse contemporaine. Dans le Banquet des merveilles, nous cassons le quatrième mur, non pas en invitant les personnes à venir vers nous mais en descendant vers eux dans la salle. Comme si nous quittions notre plateau sacré.
Vous êtes à la tête du Ballet du Nord, CCN Roubaix Hauts-de-France depuis 2018. Votre 2e mandat a été prolongé. Comment vous projetez-vous dans les années qui viennent ?
Sylvain Groud : Cette mission de service public n’a jamais eu plus d’importance qu’en ce moment. Le rôle de l’artiste dans la cité n’a jamais été aussi politique qu’aujourd’hui. Je cherche constamment à inventer d’autres modèles, à me questionner sur comment réenchanter en permanence cette philosophie de l’art chorégraphique. Il m’importe que cela reste compréhensible pour une grande partie du public. Car perdure encore l’idée qu’il existe une danse savante et une danse populaire. J’ai l’impression d’être au bon endroit pour militer artistiquement. J’aspire à ce que la danse s’immisce dans le quotidien des gens. Il nous appartient de ré-interroger notre place en tant qu’artiste. Je n’aurai de cesse d’inventer de nouvelles propositions artistiques dans de nouveaux lieux de vie. À cet endroit là, il n’y a pas de limite.
propos recueillis par Claudine Colozzi
Le Banquet des merveilles de Sylvain Groud
Le Colisée
33 Rue de l’Epeule
59100 Roubaix
Les 13 et 14 novembre 2024
Durée 1h20
Tournée
05 avril 2025 au Beffroi à Montrouge
06 mai 2025 à la Filature Scène nationale de Mulhouse
17 mai 2025 au Théâtre Le Forum à Fréjus
24 mai 2025 au Théâtre Les Salins, Scène nationale de Martigues
Chorégraphie de Sylvain Groud
Interprétation chorégraphique – Agnès Canova, Mehdi Dahkan, Sylvain Groud, Johana Malédon, Julien Raso, Cybille Soulier
Interprétation musicale – Julian Babou, Malik Berki, Yann Deneque, Cédric Gilmant, Antoine Marhem
Composition musicale d’Yann Deneque