Des pieds de micro se disputent une scène vide, formant un petit bois de perches. Suspendu au loin, un écran. Un à un, les comédiennes et les comédiens s’avancent, partiellement dissimulés par cet écran sur lequel apparaîssent leurs visages en gros plan. Doucement, l’équipe s’approprie l’espace, portant chaque fois notre attention sur un même discours. Rituel 5 : La mort témoigne du souci du détail qui traverse toujours le travail d’Émilie Rousset.
La force du dispositif
Ce qui fait théâtre chez la metteuse en scène, nouvellement nommée à la tête du CDN d’Orléans, ne tient pas tant aux artifices qu’à une approche presque chirurgicale du jeu d’acteur. Dans des scénographies enlevées, elle vient chercher chez ses interviewés-personnages les maladresses qui trahissent leur humanité. C’est le dispositif qui guide le regard du spectateur. C’est le concept qui fait spectacle.
On retrouve donc ici ce qui a fait la force de Reconstitution : le procès de Bobigny, à savoir un jeu à l’oreillette. Chaque interprète entend l’entretien initial qu’ils rejouent sur scène. Tics de langage récurrents, hésitations, signes d’inconfort, le dialogue est passé à la loupe. Loin d’une simple imitation, c’est un déplacement qui s’opère. Ces personnages nous apparaissent mais à en croire les rires, le public entier s’identifie et trouve dans le détail un semblant d’universalité qui dépasse le sujet.
Et après…
Ce n’est plus un mystère pour personne, pour des sépultures dignes de ce nom, il faut aligner quelques milliers sur la table. On peut tutoyer le million pour un mausolée avec vue sur tout le Père Lachaise. Ce qu’on sait moins, c’est combien ce commerce est la chasse gardée de grandes entreprises et que c’est cet oligopole qui permet de déterminer les funérailles légales et celles qui ne le sont pas.
En convoquant un « funeral planner » ou des entrepreneurs soucieux d’imaginer une vie numérique après la mort, QR code à l’appui, Emilie Rousset et Louise Hémon désacralisent un moment charnière pour tous. La pièce consacre aussi un temps aux funérailles écologiques, que ce soit « l’aquamation « (où le corps se dissout dans de l’eau) ou encore « l’humusation » où le mort et le vivant font corps.
Angles morts
De cette proposition insolite, on retient un nombre incalculable d’idées qui tant sur le plan écologique, urbanistique que social permettent de repenser la mort. Pour autant, malgré quelques évolutions dans l’espace scénique et une pointe de science fiction bienvenue pour conclure le tout, la forme trouve assez vite ses limites. C’est peut-être là le problème d’un dispositif fort : borner la créativité à un cadre dans lequel la surprise se raréfie.
Reste que Rituel 5 : la mort se démarque en faisant confiance à ses personnages (et donc à son public). Chaque témoignage brut est posé comme la pierre d’un autel dont chacun est libre de faire ce qu’il veut.
Mathis Grosos
Rituel 5 : la mort d’Émilie Rousset et Louise Hémon
spectacle créé le 4 octobre 2022 au Festival d’Automne à Paris dans le cadre de l’opération Talents Adami Théâtre, à l’Atelier de Paris CDCN et représenté au Théâtre 13 Bibliothéque du 5 au 8 novembre 2024
Conception et mise en scène d’Émilie Rousset et Louise Hémon
Avec (en alternance) Garance Bonotto, Aymen Bouchou, Barbara Chanut, Anaïs Gournay, Manon Hugny, Anthony Martine, Arthur Rémi, Ophélie Ségala
Conseil à la dramaturgie – Marine Prunier
Création lumière de Romain de Lagarde
Cheffe opératrice image – Alexandra de Saint Blanquat, Cheffe opératrice additionnelle – Joséphine Drouin Viallard
Maquillage – SFX Amanda Silaen
Montage vidéo – Carole Borne
Musique Émile Sornin
Régie son et vidéo – Romain Vuillet et Cristian Sotomayor, Régie générale – Jérémie Sananes, Régie lumière – Ludovic Rivière
Assistante à la mise en scène – Elina Martinez