Portrait de l’artiste après sa mort naît il y a un peu plus d’un an, au Teatro Piccolo de Milan, où le metteur en scène et dramaturge Davide Carnevali est artiste associé. Depuis, le seul-en-scène se réécrit pour les différents pays dans lesquels il joue, au gré d’une distribution changeante. À une trame invariable — le récit d’un desaparecido de la dictature militaire argentine, un parmi des dizaines de miliers — se télescopent les histoires des fascismes en Europe au XXe siècle.
L’enquête a beau être déroulée de façon linéaire par Marcial Di Fonzo Bo, elle procède d’un entrelacement de mémoires assez vertigineux. L’acteur raconte : un jour, quand il vivait encore à Caen, il reçoit un courrier de la ville de Buenos Aires l’informant de l’existence d’un appartement à son nom (à une faute d’orthographe près) confisqué à l’époque par la junte militaire et désormais en passe d’être restitué. Lui et Davide Carnevali, qui cherche à jouer sa pièce dans l’hexagone, décident de se rendre sur place et de faire de cette recherche aussi personnelle qu’historique le sujet de ce « Portrait » français.
Convergence des peines
Pénétrant dans l’appartement abandonné, les deux hommes découvrent les stigmates d’un pays blessé par ses crises successives en même temps que les reliques d’une vie, celle de Luca Misiti, pianiste dissident dont demeurent, entre ces quatre murs, un piano, des partitions et quelques documents à son nom. Mais dans ceux-ci se dessine une seconde figure : celle de Schmit, un compositeur juif qui fuyait la France de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Misiti étudie les œuvres. Entre l’un et l’autre, les destins convergent, dessinant l’histoire croisée d’une condition commune — celle des dépossédés de la dictature — sans pour autant que soient niées leurs spécificités historiques.
En plaçant les spectateurs en position d’enquêteurs dans des épisodes de l’histoire que l’on aurait toujours trop vite fait d’oublier, Portrait de l’artiste après sa mort réussit à solliciter une posture active dans le travail de mémoire. Si le récit très factuel mené par le comédien laisse place, en dépit de la précision et la sensibilité de la mise en scène, à une théâtralité ténue, il finit par embarquer le public en l’invitant à descendre sur le plateau, dans un espace qui s’hybride alors entre spectacle et musée et où prend place, non sans émotion, une sorte de cérémonie d’exhumation de biographies jamais écrites. La pièce se lit alors comme un témoignage, factice mais collé au réel, des victimes des dictatures française et argentine, en même temps qu’un commentaire sur les possibilités d’activation de ces mémoires au présent.
Samuel Gleyze-Esteban
Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 – Argentine 78) de Davide Carnevali
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Du 15 au 27 novembre 2024
Durée 1h30
Tournée
Du 7 au 9 novembre au Quai, CDN Angers Pays de la Loire
15 et 16 janvier 2025 au Théâtre des Îlets, Centre dramatique national de Montluçon
20 au 22 février au Théâtre de Liège, Belgique
26 avril au 7 mai 2025 au Quai – CDN Angers Pays de Loire
Texte et mise en scène Davide Carnevali
Traduction de l’italien Caroline Michel
Avec Marcial Di Fonzo Bo
Scénographie Charlotte Pistorius
Lumières Luigi Biondi
Musique originale Gianluca Misiti
Assistante à la mise en scène
Manuela Beltrán Marulanda
Régie générale et plateau Vincent Bedouet
Régie son et vidéo Loïc Le Bris